On nique quoi déjà ? (Paris 11° 2016)
« Quel désarroi que celui de l’individu avançant sans repères dans une jungle complexe, plongé sans bouée dans la grande mer de la post-modernité », me disait l’autre jour un sociologue entre deux longueurs de piscine (sais pas comment faisait pour avoir encore du souffle) (doit pas fumer).
« Et à la merci des requins et des murènes », enchaînai-je alors (histoire de montrer que là j’arrivais à le suivre). Qui d’ailleurs en construisent (pensai-je en outre et en mon for intérieur) (car même essoufflée au moins je peux toujours penser). Comment qui qui ? ben les murènes. Comment en quoi ? ben des murs. Construisent des murs-haine. Vous percutez ?
Bref beaucoup de choses ne peuvent que susciter la colère, l’indignation. Mais comment les transformer en actes constructifs, en progrès, en justice ? Sur quoi s’appuyer ? Collectifs et solidarités, discours cohérents et visions à long ou même moyen terme : pas faciles à trouver. Tant de promesses de bonheur ont fait long feu, tant de lendemains censés chanter ont déchanté. (C’est ça la mer de la post-modernité). Reste la colère, sous forme de pulsion brute, asociale (ainsi lis-je la phrase et ce mot répugnant) (mais non pas quoi) (ni déjà) (vous le faites exprès?).
Une colère alors passible de récupération par le premier nihiliste qui passe. Nihiliste et surtout manipulateur, habile à faire du paumé un criminel qui se fantasme en justicier. Habile à offrir au trouble affect de la colère l’alibi de la pureté religieuse, et/ou de la rigueur idéologique. À camoufler l’abjection et la violence sous un discours de réparation de l’injustice.
Reste à espérer qu’au pied de son mur notre tagueur ne sera pas tombé sur un triste sire de cette espèce, mais sur un gentil marrant.
Genre (Paris 11° 2011) celui qui, au cri balancé sur le mur : Haine haine haine haine (si c’est pas un mur-haine, ça ?) a ainsi renvoyé la balle : Alors content ?
Hommage à moi (Paris 3° 1980)
Vive moi et les autres (Paris 3° 1981)
Rien ne prouve, évidemment, que ces phrases soient de la même personne. Mais je vais le supposer. Parce que ça m’arrange. Je vois pas pourquoi je me gênerais pour faire un truc qui m’arrange. Dans la vraie vie ça n’arrive pas si souvent. Faut tenir compte de plein de contingences, de plein de paramètres sur lesquels il est impossible d’agir, de plein de gens qui sont pas vous, et qui curieusement n’ont pas les mêmes intérêts (à tous les sens) que vous. Dans la vraie vie on se coltine bon gré mal gré une réalité qui est rarement de la tarte. Ce serait plutôt un genre de mélasse (oui beurk moi aussi). Tout ça pour dire qu’au moins ici sur ma page à moi, je fais ce que je veux. Et si je fais le fol c’est à mon détriment et sans (porter atteinte à) l’intérêt de personne* (dit un vieil ami de bon conseil). Bref nous dirons donc qu’il s’agit du même mur, et du même auteur revenant y compléter sa pensée un an après.
Hommage à moi est une parole clairement narcissique. Or ce n’est pas à mes lecteurs que je vais apprendre que le narcissisme a deux faces …
« Ach ja, und Ich-moi-même …
– Euh, merci Sigmund, ça va je vais me débrouiller toute seule.
– Ach Ariane, schön schön, tuer le symbolisch Vater, Ich-moi-même in der Okkurrenz »
… Deux faces inverses. L’une négative, le sujet reste collé au fantasme infantile de toute puissance, il lui est impossible de nouer une relation libidinale avec le monde et les autres accessoirement. L’autre positive, un étayage précoce (amour et soins suffisamment bons**) permet au sujet de construire son assise, sa confiance en soi et en la vie, source de relations harmonieuses avec son environnement. Pour notre tagueureuse (tagueur), le passage de hommage à moi à vive moi et les autres signe l’accession à un narcissisme positif.
Du moins ainsi en ai-je décidé, car tel est mon bon plaisir.
*Montaigne (Essais II,6)
**Notion-clé du psychanalyste britannique Donald Winnicott
Photo Mabel Amber, who will one day de Pixabay