Écrire a toujours été chercher à effacer quelque chose de déjà écrit et mettre à sa place quelque chose dont j’ignore encore si j’arriverai à l’écrire. Italo Calvino
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J’écris à ma manière à l’écart cet art d’une fugue censée m’aider à porter le poids de mes vies précédentes J’écris ces textes en ligne comme personne tout en chantant sur le mode mineur J’écris ici comme si j’étais ailleurs J’écris de mémoire et d’oubli J’écris entre deux sommes cette somme aléatoire J’écris à l’œil et au doigt J’écris pour échapper à la terreur des libraires qui entassent mois après mois d’éphémères nouveautés destinées à faire taire leurs lecteurs J’écris pour transformer mes proliférations numériques en un livre unique qui les fera disparaître une fois pour toutes de mon ordinateur
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Écrire apaise
Écrire accompagne nos fantasmes et nos fantômes
Écrire contrairement à parler -ce qui est dit est dit- autorise à la fin de la page à déchirer le mal écrit
Écrire désarçonne
Écrire dans un monde en mouvement nous force à chercher notre assiette
Écrire nous forme
Et nous déforme par ajouts mal venus
Écrire on le lit
Et cris et rires sur le sujet
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J’écris en buvant l’eau de la fontaine du grand oubli
J’écris sans mémoires ni souvenirs
J’écris sur un bloc de cire vierge de toute poésie
J’écris en poussant le rocher mythique de Sisyphe
J’écris des glyphes qui attendent leur Champollion
J’écris dans l’odeur âcre des derniers feux de Mai 68
J’écris 68 fois SOUS LES PAVÉS LA PAGE
J’écris en marchant de nuit dans les rues d’une ville inconnue
Dictant à mon magnétophone portatif le nom des rues et des affiches
J’écris et quand personne ne me lira je m’en fiche
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J’écris en levant les lièvres d’un gîte
Où La Fontaine songe :
cet animal est triste et la crainte le ronge
J’écris dans la discrétion le silence et l’effacement
J’écris dans l’exubérance la profusion et l’effervescence
J’écris résistant au vertige de l’écriture mais non à sa folie passagère
J’écris le passage en attaché en cursive
J’écris en courant sur la page dans la rumeur des vagues
J’écris dans la rumeur des vagues qui accompagnent mes livres de sable et d’écume
J’écris en voyant de ma fenêtre une portion de méditerranée
J’écris entre Charybde et Scylla cette intensité de l’instant
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J’écris en aparté
J’écris en regardant Arte
J’écris en me souvenant des petits bonhommes de Folon
Qui ouvraient et clôturaient les programmes d’Antenne 2
J’écris comme ces drôles d’oiseaux
Portant chapeau sur la tête
J’écris d’abord dans ma tête
J’écris comme on parle au papier
J’écris Sauve qui peut
J’écris en brassant des souvenirs plus ou moins inventés
J’écris en cherchant le chemin qui n’existe qu’en le frayant
J’écris sans routine ni brouillon
J’écris sur de petits carreaux d’écolier
J’écris sur une seule face
J’écris en imitant mon écriture au tableau
Quand je l’enseignais au CP
J’écris à grands coups d’épées
Sur mon carnet de citations
J’écris vie critique tissée d’expériences multiples
J’écris Liberté
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J’écris comme un délire ce vers à goût de nuit
Puis cet autre oubliant sur ma lyre qui je suis
J’écris ce poème à grands traits
J’écris avec mon nouveau stylo Stabilo
(pour surfaces lisses, papier, verre, métal)
J’écris par intermittence mais sans ratures
J’écris au page cette ultime ligne de Belleau
Ô lit heureux l’unique secrétaire de mon plaisir*
*Rémi Belleau (1528-1577)
7
J’écris ce texte de clôture d’une plume douce
J’écris mezzo voce dans une chambre nue
J’écris naturellement (si je puis dire)
J’écris toujours en chantier
J’écris en dissident
J’écris en décidant d’arrêter là cette écriture