La gageure de Yannick pourrait être de signifier la supériorité du cinéma sur le théâtre, de surcroît un mauvais théâtre de boulevard surfant sur le mythe éculé du cocu le vaudeville ou le drame bourgeois mal ficelé.

Supériorité en cela que la caméra englobe toute la salle, filme les spectateurs, donc double le théâtre de ses coulisses et de son public, entre fauteuils de velours rouges et visages tournés vers la scène.

Aurait voulu être Depardieu Belmondo Dewaere.

Comme si le cinéma renouvelait le théâtre en lui offrant double scène, double spectacle, ajoutant au décor de cuisine et aux paroles banales la vue décadrée de la salle écoutant.

Jusqu’à ce qu’un des spectateurs, d’un coup, rompe le charme – l’illusion dramatique que déjà la caméra avait décillée. Interpelant les acteurs pour se plaindre de la nullité du spectacle.

Cette nullité s’exprime sobrement – venu pour se divertir, le spectateur ne se divertit pas. Venu oublier sa vraie vie problématique, il n’y parvient pas. Venu de loin, de sa banlieue, il n’en a pas pour son argent.

Mais Dupieux va plus loin. Il interroge, sans avoir l’air d’y toucher, la légitimité d’une œuvre créée par des intellectuels, face au spectateur populaire devenant dramaturge, réécrivant la scène.

On rit de ses difficultés à manier le français, quand il commence à écrire fusent les sarcasmes, les acteurs au préalable refusent de jouer.

Mais les rires. Mais les rires de ou les rires avec.

Mais les larmes du spectateur devenu dramaturge, écoute et d’un coup pleure.

Voulait se divertir ou être touché.

Il a fait usage d’une arme, il a pris en otage la salle pour qu’enfin une œuvre d’art soit écrite par un homme du peuple (sinon, qui y aurait consenti)

A sa larme finale répond le plan final des coulisses avec le GIGN prêt à intervenir.

A ce moment-là la tension entre acteurs/spectateurs s’est évanouie au profit du spectacle.

Peut-on obliger à la création sous la menace d’un revolver.

Engager la conversation avec les otages, demander gîte et couvert, rire avec les otages.

On ne s’ennuie plus dans la salle.

Mais la société policée va rétablir l’ordre, son ordre.

Le spectateur incongru, maîtrisant mal la français, a pourtant réconcilié la salle.

Qu’est-ce qu’un spectacle, sinon une friction, une révolte, un dialogue urgent entre les hommes.

Sur la scène on représente la vie vraie (un malade de n’avoir pas reçu suffisamment d’amour)

Il est question d’art, de la possibilité de l’art, mais de société, de société malade. Cela va de pair, l’art ne sort pas de nulle part, il a maille à partir avec la société qui l’élabore.

Il doit y avoir un responsable à tout ça, le metteur en scène (le mec qui organise tout ça ne surveille pas le boulot des comédiens, étrangement le théâtre est un service, le spectateur un client, une marchandisation du monde, mais le spectateur ne veut pas voir de l’art, veut qu’on lui change des idées qu’on lui remonte le moral)

On est tous artistes, on peut dessiner des bananes si on a le temps de glander, qu’on ne travaille pas (un seul jour de congé)

Le grand metteur en scène, le grand responsable (le cinéaste, ou les politiques).

Le gardien de nuit est le révélateur, ce qui grippe la machine de théâtre du monde.

Il a eu besoin d’un revolver pour que les comédiens et les spectateurs bourgeois l’écoutent.

Dieu fait grâce dit son nom.

La société-public comprend un jeune ado qui prend des anxio. La société va mal. Le public s’ennuie.

Quand le comédien n’a pas joué, l’autre dira que cela a été son meilleur rôle ( a très bien joué le cowboy au revolver)

Les comédiens peuvent être colériques, méprisants, jouant le rôle du Yannick pour le tourner en dérision, allant jusqu’à la violence, se révélant quand le revolver leur échoit. Bravo pour l’artiste chapeau bas sauf que ne jouait pas.

Le revolver pour renverser la logique de classe (du maïs jaune couleur des cocus ou d’autre chose)

Le revolver peut faire d’un comédien un cowboy, révéler sa part obscure et rendre l’homme animal ou tortionnaire.

Quel est le pire homme au revolver.

Yannick rit-pleure à son propre spectacle. Yannick dans l’illusion dramatique (au point qu’un spectateur sort prévenir les flics sans qu’il le voie).

Le public rit.

En musique hors paroles les comédiens jouent la pièce écrite par la gardien de nuit.

Le public rit (de et avec). Répétitions fautes d’orthographe syntaxe tordue mais rit.

Quand le théâtre n’opère pas, plus de dialogues juste musique.

Le théâtre a réconcilié otages et terroriste de l’art, spectateurs et comédiens.

le théâtre/cinéma transforme tous les visages, l’art transforme tous les visages (pleurs ou rires peu importe)

Film politique anti-intellectuel mas qui in fine réhabilite l’art intégral l’art sans les intellectuels le vrai l’art qui émeut.

Les forces de l’ordre vont entrer, le cinéma s’arrête.

La société n’a rien compris.

 

À propos de Yannick, Quentin Dupieux, 2023.

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