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IV

 

Après nous le déluge
bien sûr
on pleurera cet hiver, et tout l’an ici et là,
les larmes des glaciers taris les îles qui se noient la chaleur étouffeuse et ses feux géants,
mais qui peut refuser l’ivresse
de ce déluge tendre de ciel de soleil de fraises sauvages,
quand on sait
que s’empêcher n’empêchera pas
les gueules de bois ?

On a vite fait de devenir
ennuyeux comme la pluie des jours mal joués mal vécus
avec ces propos d’ascenseur la pluie et le beau temps qu’il fait qu’il a fait qu’il fera et ses vilénies,
– qui donc il ?
Quel dieu bidon à moitié vide ou plein déguisé en quelqu’un ?

Nous faisons le temps beau laid bon mauvais,
modes dispositions intimes délicatesses de nos santés,
injonctions de nos vacances, mises en garde des savants des ancêtres,
mémoire de tous les chefs-d’œuvre poétiques à fond de commerce
météorologique.

Nous déplorons un déluge,
ou nous écrivons Noé
ou peignons des marines naufrageuses,

de même pour tous les temps, grand beau trop chaud inclus,
celui sur lequel
– tout autant que font sur choléra et peste
les romans et la vie –
nos yeux écarquillés de paysages
veulent en vain brouter des nuages,
leur ombre même.

Nous seulement pour panser les saisons,
leurs blessures comme nôtres,
comme on aime des humains morts ou vifs,
nous pour saisir les restes de la joie
contre l’hamlétienne tétanie
du désespoir
pour se donner la force – l’autre nom du désir –
de balayer les rues
devant nos tanières d’ours qui tuent les mouches à coup de parpaing,

d’y faire passage
d’encore marcher ou tituber tant pis mais vivants,
derrière les danses toujours plus cruelles de la planète
qu’on nommerait revanches si elles n’étaient seulement tumultes indifférents,
nés du tumulte des mépris des méprises ?

***

Aux cieux pas de gentil magicien
qui ne dort que d’un œil pour avoir soin
du bout du nez de nos petits d’hommes,

mais sur terre
un peu de dieu fragile s’impatiente dans l’humus des vivants
à nous voir
toréer furieux avec la furie nature
devenue avec nous abîmée usée par nous comme nous,
vieillie comme les étoiles
comme nous
provisoire

ce peu de dieu mortel voudrait lui faire danser de bonnes pasa-calles
la marier pour la vie
jeter les cartes météo mitées par nos désirs d’enfants gâtés,
périmées par l’usage de la terre et des mers,

refaire les plans des liens toujours défaits
choyer nos droits à la curiosité insatiable
à la survie
épargner aux nôtres et aux autres,
des colères géologiques des furies virales des crocs des fauves de toutes espèces.

Comment broder, aux points de croix de l’histoire
et de tous les savoirs,
des constellations neuves
la suite du tissu vivant ,

comment en faire
un bel atlas d’enfant
plein de vies de bêtes de plantes d’étoiles,
ou encore un rouleau infini
de pluie de neige de vent de soleil de nuages
de givre du matin
de brises du soir
de saisons

pour les enfants de nos enfants ?

 

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Déracinée-enracinée à Marseille, Europe, j'ai un parcours très-très-académique puis très-très-expérimental en linguistique, stylistique, langues anciennes, théâtre, chant, analyse des arts plastiques, et écriture. Sévèrement atteinte de dilettantisme depuis longtemps, j'espère, loin de l'exposition de l'unanimisme des groupes de réseaux, continuer à explorer longtemps la vie réelle et la langue, les langues. Reste que je suis constante dans le désir de partager, écouter, transmettre un peu de l'humain incarné au monde par l'écriture ; la mienne, je ne la veux ni arme militante, ni exercice de consolation, mais mise en évidence de fratersororité. J'ai publié deux recueils de poèmes, écrit une adaptation théâtrale, participé à la rédaction de nombreux Cahiers de l'Artothèque Antonin Artaud pour des monographies d'artistes contemporains ; je collabore aussi avec la revue d'écritures Filigranes. - En cours : deux projets de recueils de courtes fictions, et d'un recueil de poèmes.

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    6 Comments

    • Monte+Michèle dit :

      Ce 4e volet élargit bien évidemment le propos et éclaire rétroactivement les précédents mais on y perd un peu la belle exubérance des précédents. IL faudra évidemment que je relise le tout pour mieux me faire une idée.

      • Ariane dit :

        Comment, comment … Oui comment ? Comment passer du ressentir ou penser, au faire ? J’entends utilement. parce que bon jeter de la soupe sur Vincent ça prouve juste qu’on n’aime ni l’un ni l’autre …
        Plutôt peser politiquement en tant que citoyens, nous qui avons la chance de vivre encore en démocratie. Par l’interpellation des partis, par nos choix électoraux. Déjà refuser tout ce qui ressemble plus au désir de chaos et de casse démocratique que d’aptitude à assumer le pouvoir pour le bien commun. ça fait du déchet … Et puis pourquoi le parti qui se revendique de l’écologie, autrement dit l’essentiel, la nécessité de réformer tout le vivre ensemble de façon rationnelle et juste, pour que la vie puisse continuer, est-il si décevant ? Et puis, oui, nous pouvons agir par nos comportements, les armes du citoyen de base. User de non-collaboration en pesant nos modes d’achat, de communication, de déplacement etc.
        Mieux que rien …

      • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

        Oui, je sais bien, car c’est le volet qui appelle la raison, pas les sens et la sensibilité, comme l’exercice d’admiration et d’empathie avec nos états d’âme météos que ce qui précède essaie d’être. La fraternité commence avec des moments de bonheur, qui donnent accès à l’humain au plus large, dans ses déboires avec la nature ou ses semblables.
        Ce poème de voyage s’essayait à ce voyage dans la chair humaine que les climats affectent et dont ils sont affectés..
        Mais dès lors qu’il faut expliquer, mon voyage est peut-être resté solitaire…!

    • Pierre Hélène-Scande dit :

      Il y a, pourrait-on dire, la beauté dans l’instant et la beauté dans la durée. Ce ne sont pas forcément les mêmes.

      La beauté dans l’instant ne dure pas, et de ce fait se suffit à elle-même.

      La beauté qui dure, il ne nous suffit pas, en général, qu’elle soit belle, il faut aussi qu’elle soit bonne, à cause de nos enfants et de leurs enfants, et même des enfants de ces derniers etc., bref par souci de l’humanité future.

      La beauté de l’apparaître peut-elle être insensée, cruelle, méchante, éthiquement mauvaise et rester esthétiquement immaculée ?

      • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

        Mon poème, et je réponds ainsi aussi à Ariane, n’a pas vocation à être un manifeste, moins encore à dire un beau relié au bien, je préfère le chemin de la raison, et la liberté de se frayer des layons dans le tourment du monde, y compris météorologique…Bien sûr que le commentaire d’Ariane dit sa réponse de citoyenne à cette dernière partie, réponse que sans doute je pourrais en grande partie partager, comme je voulais partager la danse du temps qu’il fait avec nos chairs humaines et nos sensibilités, et nos raisons et si possible la chanter, en amitié avec les humains sous divers climats…
        Mais quand j’écris (ou que je lis) , je veux laisser (ou trouver) la liberté de réagir : voici le morceau de monde que j’ai ouvert dans les murs de mon monde, et les actes ou l’accès à la raison et aux autres, ne sont plus, au moins pour moi exactement les mêmes .
        Le beau doit-il toujours désigner le bon ? J’en suis moins sûre que PHS : le beau est beau, c’est tout… et on le cueille ou pas, le tout est de le cueillir sans ce raconter d’histoire. Oui le coquelicot qui jaillit d’un mur est comme un cri de joie dans la ville et dans la vie mais le mur se fissure et l’humain perd un abri…le poème le pose autant que le poète en est capable, dans sa complexité, et nos actions humaines, via la raison et les sens, en disposent…comme elles peuvent, en résistant avec autant de clairvoyance que possible . La littérature n’est ni morale ni philosophie selon moi, mais monstration de pans du monde, le beau y peut apparaître ainsi que le laid, et le mauvais.
        Je fuis le prêchi prêcha en littérature, mais tu as raison de poser, hors du poème, mais suscitée par le poème, la question morale.

        • Ariane dit :

          Euh je précise que mon intervention ne tendait pas à dire ce qu’il faudrait faire ou dire (ce serait aussi stupide qu’inopportun, et de toutes façons si j’avais une solution ça se saurait). Juste je ressens un (névrotique ?) sentiment d’urgence disons politique, que j’exhale assez inutilement j’en conviens. Mais il n’enlève rien à mon plaisir à lire de belles choses …

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