La traduction des poèmes écrits en ukrainien par Marko Teren
a été faite par Irena Lystopad.
*
Là où les grandes eaux ne retiennent pas les vagues,
Ton capitaine amarre le bateau près du bord.
Son profil est fin, son soleil est couchant.
Tout ce qui l’attend, c’est l’arbre à récoltes
Celui qui soutient le ciel avec ses mains-branches.
Les nids d’oiseaux dans la verdure cachés.
Il fait tourmenté maintenant : le temps d’adieu et de vent…
Les destins humains comme des grains écrasés en farine .
Ton capitaine est un étranger parmi les passants.
La vague frappe le rivage pour devenir éclats d’eau.
Tu l’as attendu toute ta vie et maintenant
vous vous ressemblez:
Toi et le pommier tendre du port.
*
Voici maintenant qu’à ton tour
tu te retrouves dévalorisé et ridiculisé, dit Dieu.
Tous deux ensemble,
nous prenons désormais ce chemin épineux.
Je te montrerai où se trouvent les pierres sous-marines
et les barques de pêche,
Et si quelqu’un se met à marcher sur l’eau,
n’hésite pas, suis-le avec courage.
Voici maintenant qu’à ton tour tu dois choisir le verdict
entre deux destins identiques « défunts ».
Comme dans un complot malfaisant,
tout le monde est contre toi :
et le grand créateur, et l’esprit saint,
Et la marchande d’herbes qui a bêtement confondu les potions
et t’a donné le mauvais remède…
Et l’armée grise et impuissante de malheureux qui, avec impatience, t’attendent.
La tempête… tant de neige aveuglante qu’elle masque tout autour.
Pourquoi pleures-tu? mon pauvre, ose enfin tirer ton propre sort.
Là, rien de nouveau devant toi : des jours douloureux
et des nuits sans sommeil.
Seule la neige ne sait encore rien
et tombe sagement à tes pieds.
Seule la neige, comme unique vérité,
sur la terre, au-dessus de la terre et de partout.
C’est ainsi que ton Seigneur t’a soudain invité
à un rendez-vous.
Il recouvre les souvenirs de neige, balaye les traces,
tel l’aile blanche d’un ange.
Il relève les dévalorisés, embrasse les ridiculisés, pardonnant ce qui en réalité n’a pas eu lieu.
*
Parle-moi, Sarah, parle-moi par des signes.
Je cache dans mon sac un livre, des pommes
et la fleur d’absinthe,
Derrière ta vieille barrière, je reste toute seule.
Si tu ne me laisses pas entrer, prends au moins les pommes.
Ne te fâche pas contre moi, Sarah, tu m’es apparue
– et je suis là.
Comme toi autrefois, j’ai une petite fille qui ne dort pas.
Tout ce que tu m’as demandé dans mon rêve, je l’ai pris
Et pour toi, j’ai versé du vin froid.
Je m’assois sur ton porche, assieds-toi.
Derrière les buissons de ton jardin, la misère est toujours là,
Les étoiles ensorcellent et l’horizon est balayé par le vent…
Voici du vin et des pommes, Sarah, raconte.
J’entendrai à travers les générations tes paroles,
chante avec ta chanson les prénoms et les noms .
Nous ne sommes pas parents avec toi, Sarah,
vois-tu quel est le prodige ?
Seule ta douleur résonne,
et c’est comme si tu étais toujours en vie…
Voici l’absinthe que j’ai cueillie
pour que son parfum soit densément senti.
Voici de douces pommes, celles que tu as tellement chéries.
Et pour ta fille, un livre de simples contes …
Et dans la vieille boîte postale, des lettres qui jaunissent.
Je suis de la tribu de ceux qui se sont perdus eux-mêmes,
Et les cieux retombent encore sur ma terre,
Comme un châtiment pour ce que les autres nous ont fait,
Et parce que nous ne savions pas résister.
Sarah marche et ses traces sur le sable restent.
je ne l’avais pas connue ainsi dans mes rêves :
En robe blanche, elle chante une chanson amère,
Et tous mes anges gardiens la suivent.
Cela arrive, elle vient me voir en rêve,
Pour parler de l’absence de la fin de guerre,
Pour parler du bonheur arraché aux destins humains,
Comme les pages arrachées des albums de famille…
*
Depuis le dos vulnérable des hommes
Une nageoire défensive germe à travers la douleur,
Et des yeux transparents – l’eau salée.
Rien n’est sans raison.
La rivière devient la mer, elle avale le sel.
Demande pour toi aussi au Seigneur
Ce qui vient de la terre et de l’air, de l’eau et de la rosée…
Jusqu’à ce que tes forces soient épuisées.
Et la flèche a avancé, elle chante.
Le temps est une corde tendue, solide.
Avec dilue les espérances et mets-y fin,
Tant que tu es encore en vie.
Après chaque combat, il y a de nouveaux défunts.
Et les vivants auront un but devant eux.
Ni les griffes, ni les nageoires ne sauvent,
Seules… ces larmes.
*
Appelle-moi par mon nom, assiégée par des nuits agitées,
Comme si plus personne n’entendait,
Comme si plus personne ne participait,
Comme si maintenant, pour que tout soit mieux et plus facile,
Mon nom te venait en aide.
Comme si j’étais la seule nécessaire.
Dans le ciel, les étoiles se sèment en abondance
et la brume ne fait plus peur.
J’ai donné tous les talismans que j’avais à toi seul.
Je commande au feu d’apparaître là où tu manques de chaleur,
Pour te protéger du malheur.
Appelle-moi par mon nom, comme si cela rapprochait le jour,
Comme si personne
n’allait jamais pouvoir voler notre bonheur,
Comme s’il nous restait encore
beaucoup beaucoup de jours à voir !
Appelle-moi par mon nom ! Promets…
Promets-le-moi.
Appelle-moi par mon nom au milieu du désespoir et de la peine,
pour n’avoir aucun doute
Quant à combien je t’aime,
Ainsi le ciel scintille plein d’étoiles,
Ainsi la brume recule sans proie,
Car elle ne t’a pas pris à moi.
*
Voici tu peux passer avec elle encore du temps.
Un souvenir de baisers et quelques sourires.
Une pluie d’étoiles très parlante aujourd’hui.
Dépêche-toi, car le temps détruit tous les êtres vivants.
Voici, vois, tu as une nuit pour un sommeil profond.
Voici tu as un peu de vin d’étoiles.
On dit que la vie n’est qu’une. Elle, aussi, est seule.
Ainsi, aujourd’hui, vous deux ne pourrez pas dormir.
Les désirs s’épaississent grâce aux souvenirs dans les rêves,
tu es en eux pour l’éternité – un insecte que l’ambre a enrobé.
Ses yeux sont si mélancoliques et familiers.
Et viendra le printemps, disaient-ils – il est arrivé.
Et viendra l’amour, disaient-ils – tu oublieras tout.
Juste pour toucher ses paumes de main, chaudes.
Comme s’il cachait son visage si cher,
Le soir d’avril refroidit et se répand.
Voici tu peux passer avec elle encore du temps.
Où as-tu perdu tous les mots familiers ?
C’est bien que tu sois vivant.
C’est bien que tu sois vivante.
C’est ainsi qu’il câlina doucement.
***
Philosophe, auteure et traductrice franco-ukrainienne, Irena Lystopad travaille sur la philosophie médiévale et les transmissions culturelles. Elle s’intéresse aux sujets du langage et de la voix féminine dans un contexte post-colonial ukrainien.
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(Photo Bruno Kraler, Pexels)