Bleue et je te veux bleue a été publié par L’échappée belle en 2019 avec le sous-titre nouvelle. C’est le premier livre de son auteur, Stéphane Lambion, qui a vingt-trois ans. Les extraits que j’en propose en donnent une idée imparfaite, voire faussée. Ils sont eux-mêmes précédés d’un extrait, tiré de la préface écrite par le poète Jean-Michel Maulpoix. Il va sans dire que le choix proposé ne saurait remplacer le livre, qui reste à lire. Les nombres qui apparaissent correspondent aux numéros des pages. ( P. H.-Sc.)
« N’est-ce pas en pointillés que l’on aime, ou plutôt que l’on vit l’amour et ses secousses : désirer, se rapprocher, douter, s’éloigner, se perdre, se retrouver peut-être ? Il y a là une étrange chorégraphie, une succession de pas de danse, de chemins cherchés ou perdus sur la carte de la tendresse.
Sous la plume de Stéphane Lambion, la mémoire de la vie amoureuse aimante la limaille des phrases. Cela ne tient pas seulement au fait que l’amour se plaît aux discours : il est par définition foncièrement langage, jusque dans ses silences. Lorsqu’une histoire s’achève, les mots s’en donnent à cœur joie pour tirer sournoisement sur les fils du tissu lyrique qui s’est déchiré…
Le narrateur, ou plutôt le sujet lyrique de ce livre qui oscille entre récit et poèmes en prose, a un côté « Petit-Prince-qui-aurait-grandi », avec d’autres soucis que le mouton et la fleur, de nouvelles silhouettes à dessiner, réelles ou rêvées, peu importe… Il marche dans les pas de son amour, engagé dans une course étrange où il s’agit aussi bien de rattraper ce que l’on a perdu que de se rejoindre soi-même.
Au service de cette quête singulière, l’écriture se fait d’un même geste réminiscence et recherche. Sa trajectoire est aussi bien de découverte que de retrouvailles : une éducation sentimentale fait mine de s’accomplir. Oscillant entre le tendre et le bizarre, le ludique et le déroutant, le désabusé et le malheureux, l’autodérision et la gaîté, la langue qui se plaît à elle-même jouit autant de ses aptitudes que de ses reflets. »
(Jean-Michel Maulpoix)
11.
Quinze ans plus tard, errant dans la ville au fil d’une promenade improvisée, il est entré dans une boutique de vieilleries et y a trouvé un accordéon rouge dont la peinture s’écaillait par endroits.
Dans la boîte qui protégeait l’instrument se trouvait un papier écrit à la main, cela ressemblait à un poème – ou bien était-ce une chanson, il ne sait pas. Il n’avait pas voulu le lire tout de suite ; à peine avait-il reconnu le mot bateau qu’il l’avait reposé. Il avait dit, par jeu, qu’il le regarderait le jour où il saurait jouer une vieille chanson de marins sur l’accordéon que oui, il allait l’acheter, merci monsieur.
15.
La bordure épaisse de ses lunettes coupait, perpendiculaire, les longs cheveux bruns qui encadraient son visage de part et d’autre. Son bras gauche soutenait sa tête avec un angle de quarante-cinq degrés, parfaitement symétrique à son autre bras, qu’elle appuyait contre sa hanche.
Il n’avait vu, au début qu’un réseau de lignes.
20.
Elle avait pris le train pour venir le voir ; il l’avait attendue sur le quai.
De ce moment-là, il n’a aucun souvenir – sinon qu’en entendant le haut-parleur annoncer la voie d’arrivée, il est sorti de la gare en prenant ses jambes à son cou.
33.
Un jour, dans les rues des villes, sont apparus des individus que l’on a par la suite nommés énergumènes, comme des touches de couleur éparpillées sur le gris de l’asphalte.
C’est à ce lot qu’appartient la petite gitane, ce lot de gens qui creusent la vie même quand la croûte est rassie ; qui se perchent sur le rebord des toits quand le sol se dérobe sous leurs pieds ; qui, quand ils croisent la peur au coin de la rue, la balayent d’un revers de sourire et allument une cigarette.
Un lot à la dérive.
49.
Il sait, par le léger tremblement de ses doigts sur le bord de la photographie, qu’une part de sa vie est en train de s’engloutir sans retour possible.
67.
Il cherche la petite gitane sur tous les quais de toutes les gares. Il a pris son accordéon écaillé et il est monté dans un train qui file au creux de la nuit.
Les vitres protègent ses pensées, elles les empêchent de s’envoler.
On trouve le livre de Stéphane Lambion sur le site des éditions L’échappée belle. On peut également consulter le site personnel de l’auteur où figurent ses autres textes.
Invitant, en effet- pour mal traduire un anglicisme…
à suivre!
L’argument
La corde s’usant, elle se dénude progressivement de ses fils jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un mince entrelacs de fibres, si mince qu’on en viendrait à se demander s’il peut soutenir, par exemple, puisque c’est de cela qu’il s’agit, toujours de cela qu’il s’agit, d’ailleurs de quoi d’autre pourrait-il s’agir, le poids d’une tendre carcasse d’amour. Un homme veut redonner vie à celle qu’il porte sur ses épaules ; il veut faire surgir ce nous qui un jour a existé et semble perdu. Mais une ombre le hante : celle de la petite gitane… Au fil d’une suite de fragments poétiques se tisse l’histoire d’un homme qui cherche le chemin de son désir.
Il y a, en effet, une dynamique intéressante entre le côté poème de nombreux fragments et le côté narratif de la suite qu’ils constituent.
C’est effectivement l’un des aspects qui ont le plus compté lors du travail de ce texte… Et que je continue d’approfondir dans le nouveau projet de recueil sur lequel je travaille en ce moment, peut-être plus clairement poétique et moins nettement narratif, mais cherchant toujours à maintenir un fragile équilibre entre les deux.