« Par une nuit où la lune brille sur la neige, on se sent soi aussi transparent. Par un jour où souffle une brise printanière on sent son esprit vibrer à l’unisson. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II,93)
Le jour où il a écrit ces mots, nul doute qu’il y était, Hong, dans l’œil unique du monde. Des mots qui disent de si belle façon l’exultation de se sentir relié. (Revoilà cette histoire de liaison libidinale). Un état où vous atteint dans toute son évidence l’absence de solution de continuité entre le monde perçu et soi qui perçoit : regarder par l’œil unique du monde, et ce faisant le devenir aussi soi-même.
« Écouter avec un cœur paisible le bruit du vent dans un bois de pins ou le murmure d’un ruisseau sur les pierres, c’est connaître la merveilleuse musique de l’univers. » (II, 64)
Dans la peinture chinoise le bois de pins est souvent présent. Il y a entre autres un tableau d’un dénommé Ma Lin (XIII° siècle) qui s’intitule En écoutant le vent dans les pins. (Ne vous étonnez pas, lecteurs, de cette référence pointue, elle vient d’un livre sur la peinture chinoise qu’on m’offrit il y a des éternités. Mais le temps compte-t-il dans l’œil unique du monde ?) Le vent dans les pins est également célébré en long en large et en travers dans nombre de haïkus (après la Chine le Japon).
C’est vrai que le mouvement et le bruissement du vent dans les arbres a quelque chose d’apaisant et dynamisant à la fois. Il est porteur de souffle. Au sens concret, faisant respirer large. Au sens abstrait, revigorant l’esprit et la pensée.
Et puis les phrases d’Hong nous disent aussi que l’œil unique du monde est tout autant une oreille. L’occasion d’ajouter que la merveilleuse musique de l’univers à l’unisson de laquelle on vibre, elle est dans la nature bien sûr, mais aussi dans certaines œuvres d’art, celles qui probablement se sont créées dans l’œil unique du monde.
Exemple entre mille (mais pas au hasard) : au 3° acte des Noces de Figaro, la comtesse, sachant que son mari drague Suzanne sa camériste, dicte à celle-ci une lettre de rendez-vous pour le volage. (Il s’agit bien sûr d’un plan pour le confondre mais c’est une autre histoire). Où donc le rendez-vous ? Sotto i pini, sous les pins. (Si c’est pas raccord ça).
Canzonetta sull’aria … commence la comtesse, et s’ensuit un duo tout d’esprit, de légèreté, de suavité. Un de ces airs mozartiens pour lesquels il n’est d’autre mot que : grâce.
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Vibrer au coeur de l’univers, se sentir en relation directe avec les éléments, instrument parmi tous les autres, en phase par tous les sens, l’oeil écoute aussi, mais oui…
Quel merveilleux programme, Ariane, auquel je ne souscris guère. Eh quoi, sous les pins, le vent mais la stridulation incessante de ces idiotes de cigales qui ne savent même pas voir que le soleil s’est couché; dans les prés, le bourdonnement incessant des insectes, des mouches, guêpes qui piquent….. Je ne suis pas cliente et j’en suis bien triste. Mais même toi, tu ne peux t’empêcher, pêché mignon, de citer les Noces…oui il faut l’arranger un peu la musique des sphères, rajouter des bois, ça tombe bien, des cordes, des vents tout ça imite Dame nature. Mais parfois, ce n’est pas mal de l’arranger un peu. Et quand l’élève va plus loin….
Je ne m’étonne guère, ma chère Sophie, que le crincrin bourrin de ces pauvres cigales ne trouve pas grâce à ton oreille formée aux musiques savantes et inventives que tu t’emploies à nous faire découvrir. Cependant j’avoue être reconnaissante à ces bestioles de me rendre chaque été les étés de mon enfance, les souvenirs de pinèdes surchauffées, d’odeurs de thym et d’immortelles, de pierre brûlante sous les pieds nus.
Mais d’accord mille fois : c’est quand elle est arrangée que la nature nous parle vraiment. Arrangée, ou je dirais traduite, par tous les créateurs dont le génie est d’être bilingue. Comment ne pas voir désormais la Sainte Victoire avec les yeux de Cézanne, entendre le cotcot des poules sans penser au duo de Papageno et Papagena … Oups pardon, ma monomanie est décidément incurable.
Oui, la grande question des médiations dont nous avons besoin pour se relier à la nature, parce qu’elle peut déranger ou agresser autant qu’inonder de beauté et de bonheur… l’artiste et sa grâce font le pont entre les espèces, ou plutôt le révèlent, en rappellent la grâce, comme une photo « développée » d’antan…quand l’agression naturelle, elle, seule et mal apprivoisée, sépare, resserre sur l’espèce, voire sur le corps de l’individu, aliène le reste..
Les cigales me régalent, moi, l’été, les longues nuits, comme le pouls battant des pins, et elles m’amusent quand sous les branches elles font la pige aux instrumentistes, les obligeant à se mettre à l’accord avec elle… Sotto i pini del boschetto, e già il resto capira…Tout le reste …
Je pense à un beau poème, coquetterie latine de Pascal Quignard, où il n’est pas question de pins mais de hêtres Inter aereas fagos, et à ce bleu plein d’air entre les branches qui quand on lève le nez sous un arbre, élargit nos poumons…
« Les cigales comme le pouls battant des pins » : c’est vrai, et c’est si bien dit. Merci pour ta lecture, et pour tes échos et variations.