« Si je me suis toujours méfié de Freud, c’est mon père qui en porte la responsabilité : il racontait ses rêves à ma mère, et me gâchait ainsi toutes mes matinées. » Cioran (Aveux et anathèmes)
Woodyallenien, non ?
« Je décèle immanquablement une faille chez tous ceux qui s’intéressent aux mêmes choses que moi … » Là c’est Groucho Marx avec son célèbre Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui m’accepterait pour membre.
Quoique. Il se peut que la faille soit ce qui aille à Cioran. Pour ma part je parie qu’il ne raterait pour rien au monde sa réunion des MNA (Misanthropes Non Anonymes), où il se tape trop l’éclate avec Schopenhauer, Kierkegaard et les autres.
« ‘Je suis lâche, je ne puis supporter la souffrance d’être heureux.’
Pour pénétrer quelqu’un, pour le connaître vraiment, il me suffit de voir comment il réagit à cet aveu de Keats. S’il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer. »
Décidément je vais postuler au club, ça fait trop envie.
« Ce qu’on devait se détester dans l’obscurité et dans la pestilence des cavernes ! On comprend que les peintres qui y vivotaient n’aient pas voulu éterniser la figure de leurs semblables et qu’ils aient préféré celle des animaux. »
« Antre ici, grand misanthrope … » pourrait-on chevroter solennellement.
Notons qu’il y a des parois où l’on peut voir des silhouettes humaines, ne lui déplaise. Ce n’est pas le plus fréquent certes, mais à cette rareté le tabou a sûrement plus de part que la misanthropie (sauf pour le sapiens cioranus son lointain ancêtre).
Cependant je dois dire la promiscuité des cavernes j’y avais jamais pensé mais j’aurais pas trop aimé non plus. Déjà la plage bondée au mois d’août dans l’odeur des crèmes solaires c’est pas facile. Heureusement pour la survie de l’humanité, à l’époque ils devaient déjà pratiquer le modus vivendi décrit par Schopenhauer dans sa parabole des porcs-épics. D’où question : quid des dessins de porcs-épics dans les cavernes ?
« Concevoir l’acte de pensée comme un bain de venin, comme un passe-temps de vipère élégiaque. »
J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque. Comme souvent, j’ai trouvé un intérêt anthropologique à observer surlignages et soulignements, parfois les commentaires des lecteurs précédents. (Tout en déplorant leur sans-gêne et manque de respect des biens collectifs).
Bref ceci pour dire que les soulignements m’ont donné confirmation que Cioran attire la sympathie plutôt des aigris grincheux fielleux. (Quoi moi ? Je le lis par curiosité, par intérêt quasi entomologiste) (mais je ne vois pas pourquoi je me sens obligée de me justifier).
Ce côté venimeux de l’acte de pensée se rencontre parfois, on l’a vu, chez Schopenhauer et même Nietzsche. Pourquoi avec eux ça passe mieux ?
Peut être parce qu’ils n’en restent pas à la négativité et savent proposer, eux ?
Bon : vipère élégiaque faut avouer quand même c’est très joli.
photo Marion (Pixabay)
Aujourd’hui, quand homo sapiens se promène dans la cité, il rencontre beaucoup d’humains et quelques animaux. À l’époque des cavernes, quand il sortait de sa tente (et non d’une caverne, où logeaient lions ou hyènes, voire des ours) et partait en promenade, il rencontrait, je suppose, beaucoup d’animaux et peu de sapiens, d’où peut-être ces nombreuses représentations animales et ces rares représentations humaines.
Alors là je n’ai pas des notions si précises (pas plus Cioran sans doute). Ton hypothèse, fort astucieuse, doit avoir sa validité. Mais il faut à mon sens la complexifier : car le sapiens voyait plus d’animaux en dehors de sa tente ou quel que fût son habitat, mettons, mais au dedans ? Alors pourquoi son choix ? QCM : Il était plus souvent dehors que dedans, il répugnait à reproduire le trop proche, autres ?
Il doit y avoir des réponses fournies par des paléontologues moins occasionnels que Cioran.