Qu’est-ce qu’on dit quand on dit chemin ?
1.
la vie est un pays
j’ai regardé ce pays et le pays m’a dit
qu’il fallait apprécier ses déserts
.
.
2.
à l’intérieur
de soi des
paysages vides
déserts qui
mal au bide
les repeupler les
recartographier
donner nouveaux noms
aux lieux abîmés
semer
le grain de mes
nouveaux blés
(il y a un tu qui aide)
des villages se sont dressés
avec un bistrot de quartier
des gens dedans attablés
(à mes reins ma rate mon foie)
(m’ont nourrie)
ont ajoutés des animaux dans mes prés
ont fait couler l’eau des rivières
qui coulent à mes frontières
fait pousser du relief
(on prononce bien le f)
des bosses des renflements
n’ont pas mis de légende
sur cette carte intime
(de toute façon ça change tout le temps)
venez me déplier
venez déplier ma carte
je vous le dis je suis d’accord
escaladez mes sommets
faites grimper la démographie
au kilomètre carré
habitez ma planète
je vous le dis je suis d’accord
.
.
3.
la vie est une carte
j’ai regardé cette carte et la carte m’a dit
qu’il faudrait toujours pouvoir perdre ses frontières
.
.
4.
mon corps et sa topographie
en pâture aux géographes
des marécages dans le cerveau
des déserts dans le dos
des collines en forme de poitrine
des champs cultivés dans le ventricule gauche
des friches dans le droit
et de la rocaille
dans la bouche
quand je dis tout ça
y a des montagnes en moi
des montagnes dans mes poumons
et des crevasses sous mes aisselles
que tu lèches
il y a des bottes de foin entre
mes cuisses et des bocages dans
le ventre qui dort encore d’un
enfant ou d’un festin
d’un amour ou d’une maladie
il y a des déserts sur mon front
je les reconnais
c’est ceux du jeune âge ceux
de la création
.
.
5.
la vie est un marécage
j’ai regardé ce marécage et le marécage m’a dit
que stagner c’était bien aussi
.
.
6.
enfin y a
l’urgence de trouver un chemin
j’ai pas de chemin
j’ai que des fils
qui tournent en moi
à mes bronches y un carrefour
dans la brume
que se passe-t-il si les ancêtres coupent
la route si
on part vers la mer
alors qu’on devait gravir la montagne ?
(comme il est salé ton chemin)
ça se dessine
le réseau routier
innommable
insondable
malgré tout ça se dessine
dans mes nerfs
j’ai envie de dire veine
mais non nerfs nerfs
(on prononce le “f” ou pas)
personne circule encore
il y a du silence
ou alors des questions
est-ce que c’est pas un peu du silence les questions ?
qu’est-ce qu’on dit
quand on dit chemin ?
on dit l’avenir ou
on cherche encore sa route ?
.
.
.