Catherine Aerts-Wattiez tient la Galerie 66 à Périgueux où elle expose le travail d’une douzaine d’artistes. Elle y expose aussi ses propres oeuvres. Du 11 novembre au 4 décembre 20121 elle a proposé Brouillard, un livre d’artiste fait avec le poète Christian Viguié, prix Mallarmé 2021, et autour de ce livre elle a présenté les peintures réalisées ces trois dernières années, rassemblées sous le titre de Brumes d’encre.
Qu’est-ce qui vous anime, Catherine, lorsque vous peignez ?
Un mélange d’émotions, tout particulièrement de colère et de tristesse, et d’interrogations, qui naissent face au monde, que ce dernier soit le monde proche des gens que je côtoie, ou le grand monde de la planète avec la crise écologique.
L’œuvre que je crée provient d’un dialogue intérieur qui s’accomplit en moi et dont elle est la trace visuelle, et de ce fait assez énigmatique, puisque cette trace n’est pas explicite mais allusive. Par exemple, si on trouve des écritures sur mes toiles, la plupart du temps elles sont indéchiffrables, bien qu’elles se rapportent à des émotions ou à des interrogations précises, clairement formulées dans le journal qui accompagne mon travail.
Dans la série Terrains, par exemple, je travaille sur un papier sulfurisé mince, fixé en suspension, qui donne une impression de froissement et de frémissement et qui matérialise ce travail vivant de la sensibilité et de la réflexion. Les traces écrites qui apparaissent sont presque effacées et donc illisibles, ou si elles apparaissent nettement elles ne forment pas des lettres mais comme une rature noire et violente au milieu du tableau qui n’est rature de rien mais pur geste graphique de rage.
Dans cette série, on remarque que le centre du tableau est d’une encre sombre très dense et que cette ombre épaisse tend à s’alléger et à s’éclaircir en se diffusant vers les bords, en particulier vers les bord inférieurs où du bleu-vert apparaît.
En effet, mon travail aujourd’hui me conduit à un apaisement. Cet apaisement me conduit à une acceptation de ce que j’ai complètement refusé pendant des années. Il m’arrivait souvent quand je suivais l’inspiration du moment de produire des œuvres qui, sans que je le voulusse, prenait la forme de beaux paysages, comme si j’étais sensible à une beauté du monde et que celle-ci s’invitait d’elle-même sur mes toiles. Mais à cette époque, je voulais m’inscrire dans l’abstraction. Je voulais, en particulier, me soustraire à cette ligne d’horizon qui finissait toujours par apparaître sur ma toile et qui organisait la surface, alors que j’avais envie de me perdre dans la couleur et d’explorer l’acte de peindre.;
Aujourd’hui, j’ai renoncé à vouloir lutter contre l’apparition de ces paysages et j’accepte qu’ils soient le limon de ma culture artistique, que des années de confrontation et de réflexion ont enrichie. D’où un apaisement. Mais alors une difficulté s’est présentée qu’il me fallait résoudre : comment donner à voir cette beauté sans refaire ce que faisaient les classiques, comment la donner à voir aujourd’hui sans qu’elle paraisse classique, périmée ? De là est venue cette bande brun-rouge qui divise le tableau en deux parties et introduit une perturbation. Ainsi, dans la série Matins du Monde (un beau titre suggéré par un beau film…) l’un des tableaux comprend deux parties nettement contrastées : le paysage au-dessus de la bande rouge et une surface blanche couverte de graffitis au-dessous, en quelque sorte la tradition et la modernité.
Cette acceptation de l’héritage classique a donné la série intitulée Mes petits classiques, dans laquelle vous assumez de peindre des paysages brumeux à l’ancienne, où si l’on prend du recul on distingue des édifices, des fourrés touffus, des forêts, des cieux…
Oui, tout à fait, mais pour autant cette beauté n’a pas envahi toutes mes œuvres. Il reste dans mon travail une souffrance qui refuse de se taire, de rester invisible. J’ai ainsi composé une série intitulée Carnets secrets dans laquelle chaque œuvre est produite à partir d’une feuille d’un mètre carré que je plie et replie jusqu’à obtenir un carnet de 15 sur 20 cm dont les «pages» sont peintes à l’encre recto verso. Souvent un fil noir enferme le carnet et scelle le repliement sur soi. Des écritures apparaissent parfois, ou bien demeurent inaccessibles si elles sont de l’autre côté, ce qui peut évoquer ces journaux intimes qui restent confinés à la sphère privée et que personne ne lira jamais à l’exception de leur auteur. Cela peut évoquer encore, et tragiquement, l’inaccessibilité des souvenirs qui affecte l’être humain pris par certaines maladies. Cela peut aussi évoquer le repliement sur soi, un enfermement psychique douloureux. En somme, j’en suis à un point de ma vie où j’accepte à la fois la souffrance et la beauté.
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Peinture ou encres, donc? et si peintures, pourquoi ce titre sur l’encre?
Comme souvent, après un tel partage, on aurait envie de voir en vrai… il y a des galeries et des lieux d’expo dans le Sud-Est.