Il me semble que dans cet essai, c’est surtout là où voulait en venir Papa Freud, à son Urvater (père originaire). Une fois qu’il l’a rencontré dans Totem et Tabou, il le ressort de son chapeau à maintes reprises, et jusqu’à son œuvre finale L’homme Moïse et la religion monothéiste (1938) (en particulier fin de la deuxième partie, Résumé et récapitulation paragraphes g et h).
Mais un dada peut en cacher un autre.
« Ce par quoi nous avons contribué à l’explication de la structure libidinale d’une foule se ramène, nous le reconnaissons, à la distinction du moi d’avec l’idéal du moi, et au double mode de lien rendu par là possible – identification et installation de l’objet à la place de l’idéal du moi. »
(Psychologie des foules et analyse du moi chap.11 Un stade dans le moi)
Au cours de sa quête d’élucidation du fonctionnement psychique, Freud ne cessera de tresser les deux fils (comme un fil de coton, pas un fiston, dans le contexte ça peut prêter à confusion) : la phylogenèse et l’ontogenèse. C’est à dire l’héritage commun à l’espèce, et ce qui façonne l’individu à partir de son histoire personnelle.
Avant la boucle finale que noue le Moïse entre les deux fils, deux autres points nodaux : précisément l’essai que nous lisons et, quelques années après, Malaise dans la culture.
Propos du chap.11 : l’individu au cours de son développement doit construire un moi cohérent compatible avec son environnement social. Pour cela il lui faut refouler son moi primitif de Narcisse totalitaire, lequel va constituer (dans l’inconscient donc) le noyau de l’idéal du moi.
Ich Ideal, Ideal Ich (idéal du moi, moi idéal) Freud passe d’une nomination à l’autre. On dit parfois que Moi idéal est un bourrin sans frein, et Idéal du moi le cheval, dûment bridé par un dresseur nommé Surmoi, apte à être monture docile du moi.
La distinction n’a qu’une relative pertinence : à l’arrivée l’adoption du principe de réalité est ce qui permet de ne pas renoncer au principe de plaisir.
La tension qui pèse sur l’individu social est celle du moi tiraillé entre le pôle normatif et le pôle hors la loi de son idéal. C’est pourquoi « il se crée toujours une sensation de triomphe quand quelque chose dans le moi coïncide avec l’idéal du moi. »
Une telle coïncidence a lieu quand l’individu enfoulé s’abandonne au meneur, projection de son moi idéal. À partir de ce moment le principe de plaisir peut non seulement outrepasser le cadre du principe de réalité, mais pulvériser ses propres records.
On entre alors dans un au-delà du principe de plaisir dans lequel Freud (voir essai éponyme), décèle la pulsion de mort.
Une explication peut être pour l’oscillation des foules entre liesse bon enfant et violence débridée. Et surtout pour le cynisme, la « bonne conscience » accompagnant la violence la plus abjecte dans gangs et clans rivaux, ou dans les armées en campagne.
La projection dans un Moi Idéal donne à celui qui se soumet au Meneur l’illusion d’être exceptionnel. Et inversement le dédouane du mal qu’il fait, le « banalise » : ainsi Hannah Arendt analyse-t-elle ce fonctionnement dans son essai Eichmann à Jérusalem.
Image par David Mark (Pixabay)
Décidément la promenade dans Freud par cette porte d’entrée est féconde et éclairante !
Même si on peut déplorer qu’elle ne pointe pas le plus clair et le plus fécond des fonctionnements de l’homme social, tristes preuves par la conjoncture.
Euh oui tu as raison j’ai tendance à voir le verre à moitié vide, j’ai du mal à voir le positif dans la conjoncture actuelle (comme Papa Freud avait du mal à le voir à son époque). Et pourtant il y en a bien sûr, du positif. Et la « sensation de triomphe », au moment de la coïncidence entre moi et idéal du moi, peut porter à des actes d’engagement et de courage non au bénéfice du mal et de la mort, mais à celui de l’humanité des hommes et des sociétés.
Mais ça dépend un peu beaucoup des traits de cet idéal du moi … sur lesquels la conjoncture influe. Une sorte d’effet de feed-back permanent. D’où de méchants cercles vicieux possibles.
Soit dit sans casser l’ambiance.