La première partie est ici
Deuxième partie
Même les fleuves infernaux auxquels Circé l’avait préparé, leur confluent noir, le lieu du rendez-vous, roulaient en estuaire des boues lourdes et ne chantaient pas ; rien de commun avec les rivières qui rient sans cesse d’être picotées par les martins-pêcheurs, frôlées par les libellules.
Ces trois fleuves s’unissaient comme larrons en foire, musclés et tacites, chargés du limon des mauvais coups du monde, engraissés par le flux des larmes humaines.
Ulysse était arrivé là qui sait comment mais à vrai dire, Borée, maître des vents qui l’avaient naguère pas mal bousculé, était un vieux copain à Circé et ne pouvait rien lui refuser, ni à son protégé ; il l’y avait donc poussé de zig et de zag, du côté des confins ouest du monde connu. À force de tirer des bords dans tous les sens sous des vents capricieux comme jamais, ils y étaient bel et bien arrivés, dans ce lieu sans nom absent des cartes des marins les plus experts, une plage comme après un grand tsunami.
Ce n’est pas qu’il y tenait, d’ailleurs l’équipage qui ne savait que la moitié des choses avait renâclé tout le long, mais il devait passer par là pour savoir si et comment il pourrait retrouver son île un jour, et avec elle, son fils, sa femme, sa vie de roi, ses oliviers.
L’ami
Ils avaient abouti sur ce cap escarpé, encore en Méditerranée peut-être – sinon où ?-, une terre âpre et brune et déserte en apparence, mais surpeuplée, des milliards de milliards d’âmes et de leurs histoires. Depuis la fondation du monde.
C’est là que se débouchaient les trois fleuves noirs, non loin d’une plage fangeuse qu’un bois sombre encerclait et embrassait de son ombre ; on aurait dit que seule la nuit régnait ici, que le char du soleil se détournait pour passer au large.
L’équipage détesta cela, et l’ami Euryloque, qui, pas plus que ses compagnons n’avait consolé sa nostalgie dans les bras de déesses et s’aigrissait un peu plus chaque jour ne fut pas dupe : passer si près des morts, ne laisserait personne indemne ; il ne les voyait pas, les âmes, mais il savait.
Il avait renoncé à faire le compte à Ulysse de toutes les vies perdues depuis leur départ de Troie, en dernier le pauvre Elpénor qui ne se présenta pas à l’appel au départ de leur flotte à Aiae, et qu’Ulysse pressé refusa de retourner chercher : avec les herbes sucrées et les philtres capiteux de Circé, sa beuverie avait dû tourner à la gueule de bois ; ses ronflements n’avaient été entendus de personne, et il resterait là-bas pour toujours, ce gamin d’Ithaque.
Et, quand ils abordèrent dans cette crique étroite, calée dans l’aisselle de la plage et du promontoire, ni Euryloque ni les marins ne doutèrent qu’ils étaient bien arrivés où Circé les envoyait : dans un silence inhabituel, à peine poussés par le vent vers ce cap engoncé dans une brume moite où les arbres, les buissons, les rochers, l’eau-même du gros fleuve qui ouvrait là son embouchure édentée, n’étaient dessinés que par le degré des noirs, des gris, des bruns, dont l’épaisseur ou le diaphane seuls accusaient les reliefs, pas un objet ne projetait d’ombre, la lumière était diffuse comme en orage ; Ulysse allait à la rencontre de son destin, et tous les dos se hérissèrent comme des échines de sauriens.
Euryloque réalisa qu’il ne pouvait même plus se consoler en fermant les yeux pour voir le visage de Ktiménè : elle ne lui apparaissait plus, et son étoile ne brillait pas. Il se mit à haïr son capitaine, son beau-frère, son ami.
Le voyant
Tirésias le vaticineur, Circé l’avait assuré, allait enfin dire à Ulysse s’il reverrait Ithaque avec ce qui restait de ses recrues, et comment il arriverait à lever la malédiction de Neptune qui, depuis les blagues et les bravades d’Ulysse pour humilier le Cyclope cannibale, n’avait épargné à sa flotte aucune tempête, aucune inopportune bonace.
Ce vieil aveugle psychorigide qui avait eu la peau de la petite Iphigénie pour faire démarrer la flotte vers Troie et prouver qu’Agamemnon avait des couilles, était mort à son tour, non sans avoir annoncé force morts violentes à des mortels tétanisés.
Ulysse devait le trouver dans le domaine d’Hadès, comme on disait vaguement, ou dans les bois de Proserpine comme on disait pour les rassurer aux vierges gravement malades. Tirésias y croisait-il parfois les âmes mortes de la jeune sacrifiée et des guerriers des deux camps, éventrés ou égorgés, des veuves violées ?
Fallait donc y aller. Et voilà qu’ils y étaient, et plus près que jamais, dans ce bout de monde, sans guerre, sans naufrage, anesthésié, en un face à face dont nul humain vivant ne peut en principe se prévaloir. On ne connaissait guère qu’Orphée qui avait osé, mais c’était un artiste, et il s’était quand même bien fait avoir. Quant à Virgile et Dante, ils n’étaient pas nés, et ne pouvaient rien pour Ulysse.
Pas de gouffre, pas de châtiment, des courants d’air, et leurs musiques, des âmes toutes ensemble, qu’Ulysse découvrait esseulées, affamées de miettes de vie, de gouttes de sang.
Comme elles accouraient et se pressaient à la fosse où ruisselait l’égorgement des bêtes !
L’épée qui tournoyait les chassait comme des nuages de mouches, mais elles insistaient, collaient à la lame qui devait se démener davantage, lui résistaient. Ulysse était en sueur.
Miel, farine, sang, prières, et, spécialement pour le vieux sorcier le sang épais d’un bélier noir.
Âme moins légère qu’Anticlée, il arriva bien après elle comme un enveloppement de sirocco moite, but goulument et fut expéditif. Donna ses instructions.
Tiens tes hommes sinon tu n’en ramèneras pas un seul ; entends-les ; ils grognent et claquent des dents à distance de cette fosse que tu leur as fait creuser, de cette viande que tu leur as fait équarrir pour les dieux et saigner pour moi, mais où ils ne mordront pas ; vois leur fatigue et leur faim, débrouille-toi avec.
Les vents te remettront sur ta route, mais tu dois passer une dernière épreuve de chef. Les troupeaux de vaches blanches d’Apollon sont sacrés, quand ton bateau vide de réserves aura été poussé jusque dans leurs prairies, tu devras veiller à ce qu’aucun de ces affamés n’en fasse barbecue. Sinon, tu reviendras seul, nu, à la grâce des dieux et de la générosité des hommes, et tu devras te débrouiller tout seul avec les prétendants qui assaillent ta femme, malgré sa résistance obstinée. Ils sont rivaux, mais s’uniront comme un seul homme contre toi. Elle tient bon, ta Pénélope, fais en sorte qu’elle ne le regrette jamais.
J’ai vu ma mère, lui dit Ulysse.
Toutes les âmes qui s’approcheront du trou au sang te parleront si tu veux, choisis bien celles que tu laisseras faire. Gare à ne pas trop t’attarder, tu pourrais être tenté de les écouter toutes, ça fait du monde depuis la fondation du monde…sans quelques bonnes volées d’épée pour choisir qui tu interroges, tu ne partiras plus d’ici.
Tirésias avait été expéditif, il avait bu goulument et débité ses visions, ses injonctions, puis s’était éloigné, les autres âmes s’étaient tenues prudemment à distance de sa parole galvanique.
Il disparut aspiré par la boue du fleuve.
Le mousse
Avant d’avoir eu le temps d’appeler maman, Ulysse frissonna sous des lanières de vent soudain glacé, et tout près de lui devant la fosse, il entendit une voix dont il sut sans le moindre doute qu’elle était celle du mousse Elpénor ; Ulysse savait qu’ils avaient sur le bateau en partance pris acte de son absence, moqué ses excès qui avaient dû prolonger sa nuit dans les jardins, l’avaient accusé en gloussant de rire de s’être laissé retenir par une bergère ,un berger, ou une chèvre, se privant par inadvertance de retour au pays. Tant pis pour lui, avait dit Ulysse, après tout, il en était parti tout petit, quels souvenirs avait-il d’Ithaque ? Il s’accommoderait bien. Et à part quelques esprits toujours contestataires autour de son rabat-joie de beau-frère, tout le monde approuva ou fit comme si.
Ulysse ne le voyait pas mais l’entendait pleurer, son oreille savait que c’était lui, ce pas très doué, transparent chez les vivants, mort donc, et invisible chez les morts, et son oreille s’émut avant que son cœur ait eu le temps de s’agacer ou de se blinder ; il écarta les autres âmes, l’entendit laper le sang entre deux sanglots.
Elpénor raconta son bad trip, sa chute mortelle de la terrasse où il cuvait les chaleurs du vin pur et de ces fumigations étranges de Circé qui faisaient rire les hommes comme hennissent les chevaux ; il s’attrista que son absence n’ait manqué à personne jusqu’après l’embarquement, ignorée plus encore de Circé et de son personnel ; son cadavre se défaisait dans les buissons du jardin -on entendait, comme incarnée de façon déchirante, cette voix secouée d’horreur– proie des fourmis, des pies, des renards. Personne ne le pleurait, personne n’avait donné à son corps glacé la moindre marque de respect ou d’affection. Où étaient son père et sa mère ? Où était le chef à qui ils avaient confié leur enfant ?
La voix accusait maintenant, elle exigeait une sépulture, les rites qu’on doit à ceux-ayant-existé, si insignifiants soient-ils, et des excuses aussi, faute de quoi même les bois de Proserpine perdraient trace de sa voix, souvenir qu’il avait été, mais l’air entre les branches sifflerait pour Ulysse les malédictions de la honte ; Elpénor exigeait le droit au grouillement gris des solitudes partagées des morts, la danse des mémoires et des souffles, bien préférable à ce rien digéré par des bêtes qu’il devenait. Sa pourriture pourrirait la vie à Ulysse et peut-être même la mort.
Les cheveux du capitaine se hérissaient sur sa tête ; lui qui connaissait les chairs mutilées de la guerre, qui voyait crânement flotter des ombres voraces autour d’une douve pleine de sang, son estomac se souleva ; cette voix était si jeune ; il pensa à son Télémaque, et il s’expliqua, pourquoi, comment, promit, malgré le désir d’Ithaque, un détour par chez Circé, pour payer au cadavre son dû de feu, de terre et de prières, une trace, même infime, de son passage parmi les vivants.
La voix se tut.
La mère (2)
Et soudain, Anticlée était là.
Elle le regardait bien en face sans paraître le voir, comme pour le chercher, elle préférait qu’il ignore qu’il ne l’avait pas choisie en premier. L’épée d’Ulysse écarta beaucoup d’autres âmes, de plus en plus de visages connus qui l’approchaient, et elle but à petites gorgées tranquilles, comme elle faisait toujours.
Puis elle releva la tête comme si elle le voyait tout juste, et eut à cœur de savoir comment il était arrivé ici, plein de sang et de souffle, l’iambe du cœur de son fils tapait comme tambour de danse, vivant, vivant, boumboùm, boumboùm, mais ça paraissait impossible. Elle voulut comprendre, s’inquiéta d’Ithaque, de la Grèce, y es-tu retourné ,quelles nouvelles de là-bas, comment va Pénélope, et ton fils, quels périls as-tu affrontés, ce n’est pas moi que tu cherchais, par où as-tu dérivé pour arriver sur cette plage où je n’ai vu arriver par les fleuves souterrains que ce peuple d’ombres… ? Vois, fils, ces vies passées qui font autour de nous, en noir et blanc, en brun de sang séché, cette grande toile historiée qui s’agite et dont les motifs bougent au gré des arrivées, ces hommes de partout, depuis toujours, depuis que les enfants se souviennent de leurs grands-parents, de leurs funérailles, et que leurs gestes, leurs visages et leurs mimiques les racontent quand après beaucoup de temps les mots pour les dire se sont tus, car il faut bien faire place aux nouveaux morts.
Ulysse vit ce que sa mère lui montrait, qui l’enveloppait, ce tissu mouvant de mémoire où il reconnaissait des visages, des démarches, des silhouettes, sous ses phrases le monde des morts s’animait, il aimait cela, s’en apaisait, pensait au sens de ses pérégrinations, à la place de tous ces morts dans sa vie. Mais elle était inquiète et il fallait lui répondre. Il lui raconta au plus court ses vicissitudes depuis son départ, la malédiction de Neptune dont il tut l’origine, et toute son errance vaine jusqu’ici pour rejoindre Ithaque où il n’avait jamais encore pu remettre les pieds ; il fit au plus court.
A son tour, il l’assaillit de questions.
Que lui était-il arrivé ? maladie, belle mort (comme on dit) ? accident ? Et papa, et ma femme, et mon fils ? Les fermes?Les oliviers ? La pêche ?
Fils, je suis morte de vieillesse, dit-elle, j’avais fait mon temps, et tu me manquais tellement, toi, ton sourire devant mes histoires de cuisine et de dieux qui ne t’intéressaient pas, tes mauvaises blagues, tout ça, et puis j’avais fait mon temps, et j’étais très fatiguée.
Mais sois heureux, ton père vit toujours, loin des affaires, vieux roi devenu pauvre rustre parmi les ploucs, tu sais comment il est quand il décide quelque chose. Oui, ta Pénélope résiste encore, malgré les larmes, l’insomnie, le dégoût des bonnes choses, il n’y a que son chat albinos, une bête très moche qui dort avec elle et semble un peu la consoler ; mais jusqu’à quand, avec tous ces hommes assiégeant ton palais et sa patience, qui détissent ses ruses pour les tenir loin d’elle une à une , qui boivent et mangent ton héritage, et menacent Télémaque ? Ce beau petit gars, ton absence l’a laissé sans armes devant leur roublardise et leurs lances. Elle tient bon, toute maigre du désir de ton retour, mais fais ce qu’il faut pour que les dieux te rendent à elle, et dépêche-toi ! Si tu es là c’est que tu leur as fait quelque chose, cachottier et impénétrable, as-tu changé un peu ? Mais comme autrefois, je préfère, au fond, ignorer laquelle de tes blagues de hâbleur a mal tourné…
Oui, oui, je vois bien que tu es pressé, que tu regardes vers les autres ombres, curieux du destin des morts, essayant de percer les secrets interdits aux vivants, et le détail du vent de l’histoire quand ton histoire de roi s’est interrompue.
Mais s’il te plaît, entends un dernier conseil de ta mère, tourne tes yeux vers tes hommes.
Il leur reste, à eux, la vie, bien que l’ombre de leur souffle, pense à eux, regarde-les sidérés par ces lieux morts autour, l’air sournois, le corps décharné par la faim et les épreuves ; ils ne nous voient pas, nous les ombres, comme toi tu nous vois en ce moment, mais ils nous sentent au voisinage de leurs corps, et ils ont peur.
Des yeux ils cherchent quelque chose à manger, rien de bon ne pousse sur ces boues, ce n’est pas ici que vous referez vos provisions, ils sentent le sang et la viande de tes sacrifices pour nous appeler, ils bavent de faim, et rien de cela n’est pour eux.
Je vois Euryloque avec eux, ton beau-frère, ton ami, ton second ; il a tant changé, quelque chose de furieux tremble sous le calme de son corps, peau sur os, bien capable de donner en douce ses rations aux camarades ; ta sœur l’appelle toutes les nuits pour le faire venir dans ses rêves, mais il ne la visite pas ; elle est presque devenue folle ; n’a pas eu d’enfant pour l’obliger à se tenir, ne parlons pas de travaux domestiques, nul ne relève plus ses effronteries pour les fuir ; elle passe avec ton père et les bergers beaucoup de son temps et qui sait ce qu’elle fait là-bas, elle s’est remise à grimper aux arbres, la honte, ton père ne lui dit rien ; laisse-la, il me répétait quand je venais le trouver pour lui demander de faire quelque chose, laisse-la, sinon tu sais, le grand à-pic où ils allaient piquer les œufs de mouette ; oui je sais, je disais ; moi je la vois là-bas souvent, il disait, et tu sais, pour rejoindre son homme elle va sauter dans la mer, et Neptune la mangera, je sais je disais.
Alors fils, ne t’attarde pas trop ici pour satisfaire ta curiosité ; je sais que tu lorgnes vers Agamemnon et tous ceux de la clique de la guerre que tu as quittés vivants, la fascination des glorieux, mais les détails de leurs déconfitures depuis, tu les sauras toujours bien assez tôt.
Roi, pense d’abord à tes sujets ! Vivant, pense aux vivants ! Promets-moi !
Le fils (2)
Ulysse ne promit pas. Il n’aimait pas promettre et devait déjà trop à Elpénor.
Il fit un pas vers Anticlée pour la prendre dans ses bras, arrêter les mots, les remplacer par la chaleur des lèvres et des joues, dire au revoir et couper court aux sermons qui jamais ne fermèrent la route à ses désirs.
Mais il ne serra qu’une vapeur, ses deux bras finirent par l’étreindre lui-même, ses propres épaules, son dos tout tremblant dont il sentit les côtes devenues saillantes.
Mon corps est tout défait, », lui dit très bas la voix de sa mère, c’est dans vos corps que nous retrouvons vos visages, dans les fibres de vos muscles, de vos nerfs que se propagent nos voix, et nous les morts, sommes aussi provisoires que votre chair et vos rêves.
Ulysse s’aperçut que son visage ruisselait, sueur, faim, larmes.
Mais il laissa Agamemnon s’approcher de la fosse au sang, et bien d’autres.
Et prit tout son temps pour une causette avec tous ces gens qu’il avait coudoyés et découvrait trépassés, et même avec des héros dont nul n’était sûr pourtant qu’ils avaient existé. C’est une longue rubrique nécrologique en live, qu’insatiable, il suscitait, presque ensorcelé.
Curieux, comme toujours, Ulysse…
***
Non loin, Euryloque se rongeait les sangs.
Tous les vivants autour se refermaient comme du vieux cuir autour de leurs estomacs vides.
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Les bois de Proserpine , 1 et 2, prennent librement origine ici : Odyssée, XI
Inépuisable Odyssée, vraiment ! Et si passionnante à revisiter avec tes textes. Bon les émotions ou les pensées charriées par ce chant XI me ballottent entre sidération et inconsolance (oui ça existe si je veux), mais ça n’empêche pas la joie de la beauté, de l’admiration du génie d’Homère et de l’art de sa lectrice.
Je réalise que ton texte me fait l’effet de certaines expos où, immergés dans une oeuvre, on voit tout à coup la subtilité de tel détail, on est assailli, touché au coeur, de la force ou de la douceur d’une couleur, d’une forme. Je pense à celles qui se donnent à la carrière des Baux, ou encore au montage sur La Fée électricité, le « clou » de l’expo Dufy (à Aix en ce moment)..
Merci de cette élogieuse comparaison qui me touche ; oui c’est une lecture qui par delà les noms de ce vieux grec exotique dans laquelle je voudrais nous relier comme humains dans le présent du monde à cette histoire matrice et nourriture sans fin, pour en devenir un brin plus sages, moins désolés… Si par moments j’y arrive, je suis contente….
C’est intéressant ta façon de revisiter les textes antiques de l’intérieur, à la fois en s’en tenant à des éléments préexistants, et en imaginant réactions, sentiments, émotions souvent contenus dans les textes d’origine… Tout en gardant un style et un vocabulaire très plausibles…
Merci Anne, les mythes et archétypes peuvent encore donner beaucoup à penser nos vies et notre monde, à le panser par une forme de joie, celle d’un peu plus de compréhension, ou comme celle qu’ont les enfants à mettre leurs petits pieds dans des grandes traces de pas dans le sable et d’y trouver une force à partager . Déjà pour moi, les réécrire, c’est chaque foi comme une méditation sur la vie, la mort, la guerre, l’histoire, et les liens et sacs de noeuds entre les humains et les vies et les mondes qu’ils se font, que je les transpose dans d’autres temporalités, ou que je leur garde leur distance originelle… Une rumination un peu monastique, tantôt pour rire, tantôt pour tenir droite dans la douleur.
Oui une Odyssée toute personnelle, riche de l’humanité mise au jour par ton style, des personnages préexistants. Et une trame limpide. On aimerait qu’un vieil homme, ou une vieille femme, nous la raconte au coin du feu durant des soirées pas encore- ou plus -happées par le tout visuel, rien que la voix qui dit et nous emmène.
C’est vrai que je découvre, à chaque brève odyssée un peu plus, le plaisir de raconter pour me rapprocher de la fratrie humaine, dans sa synchronie et sa diachronie, de 8 ou 6 siècles avant notre ère ou celle d’un futur apocalyptique, en passant par notre présent, en m’en jouant ou pas, et pour rendre grâce à leurs oeuvres, tous les humains, ils ont tant essayé, que ce ne soit pas en pure perte, et j’ai à coeur de recueillir quelque chose, à ma sauce, avec les mots de maintenant, et leurs vieux noms qui cachent tous les nôtres dans bien des langues. Et si ces récits ont par moments ne voix qui leur donne un peu de chair présente et éphémère qui donne envie de suivre la promenade, je m’en réjouis et en remercie la finesse de l’ouïe des lecteurtrices.
Une belle promenade à travers ces bois mythiques, Laure Anne. Dans cette reprise du récit odysséen tu « donnes chair », avec une certaine impertinence (le lexique est parfois radicalement contemporain) à cet univers homérique. Le caractère dramatique de ce récit, son tragique, côtoie parfois le burlesque et ça fait des étincelles. Tu revisites aussi à d’autres moments du texte le récit de l’Odyssée qui se retrouve tout à coup en version courte et cela la « déplace » singulièrement c’est alors la fiction qui est revisitée pour notre plaisir de lecteur.
Merci de cette lecture précise et positive. Oui les vieux textes sont à remâcher infiniment avec nos mots et nos modes, pour transposer les « moods » anglais, burlesques ou tragiques… paraphraser, ça peut être aussi utiliser un autre texte comme son propre corps, animé par nos dictionnaires intérieurs…
« Ils avaient abouti sur ce cap escarpé, encore en Méditerranée peut-être -sinon où?-, une terre âpre et brune et déserte en apparence, mais surpeuplée, des milliards de milliards d’âmes et de leurs histoires. Depuis la fondation du monde. »
« Un homme est mort : son corps n’est plus que poussière Et les siens ont disparu de cette terre. C’est un livre qui fera revivre sa mémoire Dans la bouche de celui qui le lit. »
Éloge d’un Scribe égyptien pour son Art ( XIX° dynastie vers – 1300)