« Il est des passions qui n’ont pas précisément de but (…) elles agissent sur l’existence sans la diriger et l’on sacrifie le bonheur à leur puissance négative (…) De ce nombre, mais avec des nuances différentes, sont l’envie et la vengeance. »
(G de Staël. De l’envie et de la vengeance)
Puissance négative. L’envie est une sorte d’édifice de destructivité. Dont le maître d’œuvre est, paradoxalement, une impuissance : ne pas pouvoir se contenter d’être juste qui on est.
Passion toute de tristesse dirait Spinoza, toute de ressentiment dirait Nietzsche. « De l’amertume seule elle s’alimente » dit pour sa part Germaine.
« La passion de l’envie n’a point de terme, parce qu’elle n’a point de but. »
Bel aphorisme, fort juste. La grande force du non-défini est qu’on n’y est jamais. Si bien que l’on carbure à l’énergie inépuisable de l’insatisfaction.
Remarquons cependant que l’absence de but précis a en certains domaines des effets positifs. Par exemple dans la création artistique, ou encore la recherche fondamentale, domaines où souvent l’on ne sait pas précisément définir par avance ce qu’on cherche. Et où l’on ne trouve parfois que grâce à cette ignorance, selon le mot fameux de Picasso.
« L’envie prend sa source dans ce terrible sentiment de l’homme qui lui rend odieux le spectacle du bonheur qu’il ne possède pas, et lui ferait préférer l’égalité de l’enfer aux gradations dans le paradis. »
L’égalité en mode infernal apparaît donc comme une sorte de perversion du sens de la justice. (Une des bonnes intentions dont est pavé l’enfer ? On voit le rapport avec certains épisodes historiques infernaux).
C’est aussi le juste désir de justice qui peut inspirer l’injustice de la vengeance.
« Il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice.»
Perso cela me parle, je l’avoue. On peut ressentir cette impulsion, pas tant pour se venger soi que quelqu’un que l’on sait incapable de se battre pour qu’on lui rende justice, par exemple un enfant. Ce à quoi on se résignerait pour soi, on ne s’y résigne pas pour lui, pour elle.
Mais ce n’est pas « une raison » pour céder à cette impulsion. Au contraire, « C’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion. »
Trait spinoziste encore que cette non-opposition de la nature et de la raison.
Et toute la noblesse de cette raison (non sans un peu d’orgueil aussi, disons un noble orgueil) dans l’argument avancé par Germaine pour renoncer à la vengeance : « Vous rendez à votre ennemi, par votre vengeance, une espèce d’égalité avec vous ; vous le sortez de dessous le poids de votre mépris. »
Crédit image : Gallica (gravure de Laugier d’après la peinture de Gérard)