Il a choisi le suicide assisté il a opté pour une fin propre il aurait pu.

Se dynamiter le visage s’exploser au bord de la Méditerranée avec couleurs vives bleu rouge jaune en technicolor il aurait pu.

Tout comme Pierrot-Belmondo. Le fou qu’il était.

En Suisse c’est plus soft moins méditerranéen plus réaliste.

 

Le road-movie de Paris au sud est terminé, en traversant à pied la Loire une autre histoire, histoire du cinéma.

 

Sans avoir été père il aura été un père de cinéma notre père plus révolutionnaire que les fils.

Un mardi matin de septembre sur internet dans le Monde titre indiscutable. C’est internet qui véhicule les décès des illustres. Les mots en gras des titres tranchent sans discussion, on aimerait parfois que ce soit fake news améliorées.

 

Peut-être était-il à bout de souffle dans ce siècle exsangue d’après covid cette mélancolie d’une civilisation du carbone qui s’écroule sur elle-même, ces sixties qu’il a dénoncées dès le début, plus visionnaire que tous les scientifiques, lanceur d’alerte par image interposée.

 

L’interview depuis l’Inde mars 2021 avec malice compare covid et cinéma, c’est une question de communication, à quatre-vingt-dix ans passés voix chevrotante en anglais parle du covid avec malice quand tous en parlent avec sérieux. Cette distance quand il regarde le siècle, le XXième siècle comme le XXIième, cette lucidité avançante.

 

Tout se résout en cinéma tout est cinéma la vie est cinéma.

 

Se dynamiter le visage sur un rocher devant la mer allée (avec l’éternité et les poètes du XIXième siècle encore)

Clore le livre d’images.

 

Parler de la mort du cinéma quand on l’a enfanté (dans la rue dans le réel le faisant sortir des studios donc du théâtre, la véritable naissance du cinéma enfin affranchi du théâtre de la scène de l’intérieur reconstitué pour se baigner dans le poème de la mer et de la réalité extérieure (ce qu’ont tenté les frères Lumière à La Ciotat avant d’être rattrapés par Méliès puis Hollywood)

 

Faire le cinéma et avec modestie (ou peur) prophétiser sa mort.

 

Dynamiter chaque film fait pour faire un autre film totalement différent, dynamiter pour ne pas se répéter, oser.

Se dynamiter le visage dynamiter les films de l’intérieur pour que l’art soit dynamité de l’intérieur donc toujours renouvelé et explosif, l’art comme une explosion permanente une révolution permanente une expérimentation hors société du spectacle.

 

Monter du sud à Paris à bout de souffle avec Michel Poicard descendre de Paris à Porquerolles avec Pierrot puis s’embarquer sur les Méditerranées de la crise grecque pour noyer le socialisme et les idéologies, transformer les désillusions idéologiques en illusions cinématographiques,  réparer la vie avec le cinéma, sillonner Paris la banlieue et les deux ou trois choses que l’on sait d’elle pour finir à Genève, prophétiser la mort des grands ensembles et du vivre-ensemble et mourir juste avant la fin de la civilisation du bitume d’Alphaville et du carbone.

 

Qu’est-ce que c’est dégueulasse, c’est peut-être juste la mort elle-même (non pas la trahison de Patricia rue Campagne Première mais juste la mort qui s’abat au terme du souffle quand on a tout brûlé pour que des cendres sorte nouveau cinéma-mouvement)

 

Il faut mourir plusieurs fois sur l’écran pour de faux comme disent les enfants il faut mourir le cinéma de papa pour faire naître celui du cinéfils.

 

Enceint du cinéma je vous salue, le fruit de vos entrailles m’a révolutionnée comme une poésie dynamitée comme un Rimbaud qui n’aurait pas abdiqué une fois arrivé à la mer, a continué la croisière dans la Méditerranée de la crise grecque a hurlé jusqu’au bout la révolution politique/poétique même baigné dans la mer a continué iconoclaste et adolescent seize ans toujours à quatre-vingt-onze ans même après la mort des idéologies a maintenu l’art à flot l’image sacro-sainte se suffisant en elle-même (prophétiser la mort du cinéma pour mieux en conjurer la fin)

 

Ce combat d’avec les images non pas la beauté mais la beauté explosée la beauté dynamitée la beauté mouvement.

 

Comme cette voix off visionnaire du premier court qui décrit minutieusement l’opération béton qui nous détruit, les grands ensembles auxquels nous nous prostituons dès les sixties, a filmé les débuts de la civilisation qui s’écroule aujourd’hui, a filmé pour mieux dynamiter de sa voix off le béton invasif d’une civilisation de l’exploitation capitaliste qui sévit hors art.

 

La fausse couche d’Anna Karina mais le cinéma continue, une femme est une femme, un cinéaste est un cinéaste.

 

Il engrange le monde contemporain et le régurgite en cinéma. Il s’enferme dans le cinéma ne se prostitue pas à son public ne se prostitue pas au béton à la banlieue aux deux ou trois choses qu’il sait d’elle. Alors allez vous faire foutre.

 

Il fait du cinéma un monde une fiction trans-documentaire il sait que le récit romanesque se dépasse par l’image pure il s’affranchit des genres et se filme à même le réel à même l’image car l’image est le réel du cinéma.

 

Pierrot le fou dynamité Michel Poicart tué par les flics Brigitte Bardot désarticulée dans un accident de voiture post-mépris (les cadavres-pantins grossiers et sanguinolents du Weekend de la civilisation de la voiture) les morts de cinéma sont notre propre mort exorcisée le cinéma nous épure et nous risque il se dynamite de l’intérieur.

 

Louis Garrel a joué le redoutable mais il n’a rien joué.

 

Dans la civilisation de la télévision poser la gageure du cinéma et de l’art enclencher l’apothéose de l’image.

Le livre d’images. Les mots écrits d’une écriture cursive ou en lettres capitales, devenus images. La musique le son réel les dialogues incompréhensibles car brouillés de son réel puis les silences vrais pour que l’image soit image.

 

Faire du cinéma-poésie et non du cinéma-roman (dans un monde tuant la poésie de matérialisme et surconsommation), poser l’image au-dessus de la civilisation capitaliste et télévisuelle, être un Rimbaud jusqu’à quatre-vingt-onze ans, et malgré la ligne de hanche de toutes les femmes (ou le ventre de la femme enceinte Marie) se dynamiter face à la Méditerranée par personnage interposé.

 

Pierrot dynamité mais Godard-dynamite.

Pierrot perdu mais Godard assisté-pour-mourir.

Le cinéma vivant.

La lumière-mouvement qui désorganise les mondes et enfante les images-révoltes plus rimbaldiennes que les souffrances et les naufrages.

Je vous salue Godard.

2 Commentaires

  • Laure-Anne dit :

    Parcours de relecture de l’oeuvre brillant et éclairant pour moi, qui n’ai plus pu entrer dans ce cinéma trop violent insupportable trop éclaté après Pierrot et le mépris, cinéma de lambeaux qui m’assassine l’âme, dont la seule défense est la fuite…
    C’est bien du coup d’avoir cette vision ab imo, du profond d’une autre âme…

  • Ariane dit :

    J’apprécie la belle prose poétique de cet article … mais sans partager du tout l’enthousiasme pour la filmographie de Godard . Pour tout dire, elle me semble aussi datée que certaines oeuvres du « nouveau roman », et pour les mêmes raisons : habile dans la déconstruction, mais après ? Bon c’est une étape de l’histoire du cinéma. Mais ce « cinéma en lambeaux » me déprime moi aussi, tant on y sent affleurer la pulsion de mort. Pas tant dans la scène finale de ‘Pierrot » (même geste que celui de Langlois dans « Un roi sans divertissement » je ne sais si Godard a rendu à César ?) que dans celle où Anna Karina arpente la plage en psalmodiant « Qu’est-ce que j’peux faire j’ai rien à faire ». Tout est dit.

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