L’homme qui venait d’ailleurs a le teint diaphane, les cheveux roux, la peau très pâle.

L’homme qui venait d’ailleurs est maigre, mange peu, boit de l’eau, vénère l’eau dont sa planète est privée.

Il ne connaît pas les codes de la société policée, ne sert pas la main, ne boit pas un coup avec les autres.

Sa marche au début hésite, il se détache sur la crête, ses pieds s’enfoncent dans la terre noire lorsqu’il descend la pente d’un terril tout aussi noir.

Le paysage autour de lui déploie une nature inchangée, montagnes, lac, forêt, aux arbres grands. Qu’il souillera plus tard en construisant maisons, embarcadères.

Venir d’ailleurs c’est juste avoir un regard effrayé-effrayant sur le monde. Et s’adapter à grand peine.

Venir d’ailleurs c’est souffrir des relations humaines, du bruit de villes.

Il ne sait pas ce qu’est l’alcool, et devient alcoolique avec la société qui le dévore.

Il gagne de l’argent et devient un américain, passeport pourtant anglais, et quand on parle de lui on explique qu’il est un freak. Pourtant dans la ville aux gratte-ciels menaçants a vite appris les codes pour s’enrichir (avocat pour protéger un brevet, société fondée puis vendue, les dollars s’accumulent vite).

Puis c’est le lac, la forêt, qui ramènent ses pas vers l’essentiel, et multiplient les flash-back oniriques vers l’arrière-pays laissé derrière, la planète sèche et la famille nucléaire, scènes jaunes et dévastées, vent.

Le film de science-fiction procède lentement, il préfère aux OVNI des turgescences de nuages, des trouées tourbillonnantes, des lancées de flammes et de brumes dans les ciels mais qui se résorbent par la plongée dans le lac, comme si le feu n’était qu’eau, et que les mouvements intersidéraux n’étaient que des brouillards bouleversants mais flous, des brumes qui se jettent dans l’espace avant de mourir.

Finalement l’alien nous ressemble – n’étaient les cheveux les sourcils la pilosité – et les yeux – que les médecins colleront par des rayons sans le vouloir.

Tout à la fin David Bowie penche sa tête et son chapeau cache son visage, assis à un café.

Il a tout de même envoyé un 33 tours message à son épouse restée sur la planète sèche.

Quand il regarde des dizaines de télévision en même temps, alors s’immerge dans les bruits du monde, les inventions humaines, films, reportages, journaux télévisés, qui se réduisent à des bribes de bruits et d’images, des bruits devenant de plus assourdissants.

Parfois l’image d‘un film double l’image de la diégèse, et la mise en abyme en noir et blanc, dialogues presque identiques, magnifie le cinéma grand pourvoyeur d’images mouvantes et de significations, de dialogues hommes/femmes qui se répètent dans l’humanité débordante.

L’homme qui venait d’ailleurs met beaucoup de temps à faire l’amour, les corps s’observent, se découvrent, et cela devient une musique des corps, une poésie du couple.

L’unique revolver n’est pas chargé, et on fait l’amour comme on tire, endiablé, dansant, tirant à tout bout de champ, vers le spectateur ou le partenaire, dans la musique. A girl and a gun, dirait Godard définissant le cinéma.

Sur le ponton, un personnage voit apparaître l’alien vêtu comme quand venant d’arriver, visage sous une capuche sombre et large, corps perdu dans les vêtements amples, si ténu et victime, inoffensif tel un petit prince ayant quitté sa planète et abandonné sa rose apprivoisée.

Tout vendre pour fabriquer la fusée pour entrer chez soi.

Les dollars amassés ne serviront qu’à repartir au bord du lac, forêt calme du Nouveau Mexique.

Visage gracile sur fond de nuages bouillonnants, de ciel immense, ou de désert – buvant un verre d’eau tel un trésor – la planète sèche est-elle l’avenir de la nôtre ?

Visage gracile aux lunettes noires, ne supportant pas de voir ou d’être vu. L’épouse abandonnée avec les deux enfants est une fragilité de plus, à peine gagnée sur le silence des scènes, couleurs estompées, souvenir diffus.

Devant toutes les télévisions du monde, avec toutes les lunettes possibles (grosse loupe de l’avocat comprises), voir s’avère effrayant – mais aussi notre première approche de l’univers mouvant.

 

Gratte-ciels comme des miroirs dressés, ou désert, vallée en panoramique où poussent de maigres touffes d’herbes sèches, l’homme face à son existence nue.

Puis délogé de lui-même, dépossédé de son avoir, éloigné de la famille morte sur la planète desséchée, mais ne vieillissant plus. Baissant la tête sous un chapeau trop grand, pour échapper à la caméra et au voir.

Buvant un verre d’eau devant un pont de béton, à peine sorti du lac et des montagnes, comme boirait un trésor, après les nuages liquides l’eau de la rivière n’est pas plus souillée que nos désirs. Puis l’alcool terrestre a eu raison de l’eau désirée.

Corps dansant, plus légers que les ciels pavés d’immensité liquide.

On s’arrache les cils, mais l’étranger est plus paisible que notre monde, plus désarmé que toutes nos sociétés et nos dollars, dans la douceur des yeux.

Sa rousseur ne renvoie qu’à l’altérité préservée et ultime.

Les photos instantanées dont il dépose les brevets sont un hommage de plus à la vision, que le cinéma ensorcelle dans désert et ciel mêlés.

 

A propos de L’homme qui venait d’ailleurs, Nicolas Roeg, 1976

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