quand le son se fait image sur écran d’ordinateur et l’ingénieur-son passeur de signes puis disparaît
quand l’image se creuse de temps se fait temps où les archéologues de nos visages dépoussièrent des os de jeune femme et des crânes troués pour que s’échappent les esprits et les rites quand
la mort se sculpte sous des tunnels avec lumières électriques et excavations irrespectueuses alors
ce son de big bang retrouvé parmi la banque de sons de cinéma
de cinéma ou de vie ou d’ailleurs il faudra remonter à la source scarifiée de l’humanité défigurée avec les squelettes et les villes bétonnées architectures froides et sombres places vides aux chiens errants irréalité des bétons et des urbains défigurés
dans l’artificialité de la lutte des hommes enregistrent du violon du piano des batteries des concerts dans des studios d’enregistrement on écoute jusqu’au bout religieusement les jeunes ont l’exception vitale sur le visage
elle l’étrangère quête le son l’ingénieur-son le reproduit se rapproche tâtonne c’est son haut métier de cinéma
et la ville et le béton les frigos pour conserver les plantes hors bactéries les taches étranges sur les pétales pourpres
puis la ville encore la ville en sa carcasse pure bétonnée sa carcasse nocturne parfois deux jeunes dansent sur le béton dans les lumières électriques et les rites
et la ville son hôpital sa morgue la froideur rectiligne des humains bétonnés
avec des musées rectilignes et froids et blancs et l’abstraction de la symbolique dévidée
et la mémoire du son la mémoire d’avant l’Amazonie d’avant les colons qui y disparaissent hors rites alors de la ville derrière le pare-brise les militaires sur la route on sort et montagnes très vertes et sans ciel que de la brume
caméra fixe d’où entrent et sortent les hommes et les femmes
tableau soudain une bucolique anté-apocalypse on écaille et évide des poissons on dort-meurt pour de faux l’extase au bord du ruisseau les plantes les plantes peinture immobile luxuriante au fond un oiseau s‘emmêle dans ses ailes noires
les histoires ne sourdent pas des télévisions mais des pierres elles racontent l’origine et la chute le bang le traumatisme où l’on se jette à terre le son ancestral et l’évidence
enfin quelqu’un prend la main le bras de quelqu’un enfin
dans la maison très pauvre sans télévision sans Miss Univers et les informations mondialisées d’un coup le monde
d’un coup les extraterrestres ou les ancêtres c’est la même chose cela sourd des jungles et des confusions cela remonte
des conversations la mémoire un homme tue un homme une pierre raconte une histoire des objets bricolés fabriqués avec des mains d’hommes des potagers et des alcools
Hernan ingénieur-son disparu ou paysan séculaire dans l’herméneutique des vides et des pleins et des jungles
et des résiliences assouvies des forêts amazoniennes et des pelleteuses surnuméraires alors la mémoire est rite l‘espace devient le temps l‘image se creuse le cinéma le cinéma
synesthésie d’espace-temps en l’image foudroyante vivante débordement de la matière-plante
cette mémoire involontaire et proustienne précolombienne et humaine cette mémoire cette immémoire
ce béton capitaliste et sa ruine et l’image-peinture et la profusion sous la pluie d’un générique final très long aussi long que les plans fixes que la caméra picturale que l’arrêt
dans le temps trouée hors espace urbain réconciliation du bois de l’eau des terres rouillées et des chiens
dans la ville rectiligne arpenter pour que les courbes de plantes réinstaurent les jungles
une élaboration de la matière bang originel des naissances pluriformes
une relation que le cinéma entre vue et ouïe une explication de l’art qui creuse la ville creuse la jungle sort de la ville ouvre le béton et les rites
mémoire que le cinéma, son élaboré dans les profondeurs (des machines des ordinateurs des studios des jungles)
espace-temps image-son cinéma structurel et plein, art qui restaure la blessure vive des villes évidées et des jungles dernières
aperception fugitive des réalités plurielles et des frayeurs cinéma immanent image transcendante la jungle la jungle
stupéfaction la contemplation de nous-mêmes juste le vent des herbes et la discrétion de la caméra retenant son souffle
cinéma animiste cinéma-magie duplication des consciences redistribution des histoires notre déconstruction urbaine
on entre dans le film comme dans la vie séquences éparses non motivées personnages à peine des passants dans la ville on entre dans le film comme on sort de la ville on entre dans la jungle comme dans le cinéma et la mouvance et l’archéologie rêvée de nos modernités et l’écologie de nos rites
le chaman et l’ingénieur-son ont même prénom ils nous introduisent dans le monde du cinéma ils sont les passeurs les vivants les explorateurs des âmes les artistes précolombiens les néo-capitalistes de la chute les extra-terrestres sanctifiés
des musées aux studios d’enregistrement on se dépouille de tout et les chamans comme des hippies fantomatiques écaillent des poissons cinq poissons sans les multiplier juste le tremblement de la révélation des terres pleines animistes immanentes écologiques
à propos de Memoria, Apichatpong Weerasethakul, 2021.