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un homme une femme un enfant
mais avant tout une femme ou plutôt
ce qu’il reste d’une femme
dans le monde du visible de la photo sous les voiles
pourtant elle ose
elle regarde le photographe
elle expose ses yeux au photographe rien que ses
yeux
cela semble déjà beaucoup
elle est toute blanche dans les fumées d’avant crépuscule
près des fruits orangés elle est toute blanche
elle est voile blanc
pendant qu’homme et enfant discutent d’égal à égal
l’homme et l’enfant
elle c’est interdit le corps le visage les cheveux elle
c’est seulement les yeux
dans la pénombre de la boutique brillent comme des
casseroles rondes en inox
mais peut-être est-ce autre chose
et des étiquettes blanches comme pour marchandiser
l’espace
(la femme voilée oblige à penser casserole car sortie
d’une cuisine quelconque)
puis un jeune homme dans l’embrasure noire de la
porte
une autre femme en fichu blanc dans la boutique d’à
côté
mais là devant nous
avec ses souliers blancs devant boutique du coin de
la rue alphabet très étranger
là devant nous
bien cachée – et le photographe le fait exprès il
enfreint l’interdit il montre
ce qui reste à montrer les yeux
qui le regardent qui osent

le regarder il montre l’immontrable
(toute blanche dans l’incapacité de la femme à être
femme)

* * *

véhémence de la faucille. fracas du marteau . gestes
habiles des glaneuses au devant des blés. elles ont
franchi l’éclat et la douleur ces travailleuses de
la terre. elles ont ouvert la voie dans un frisson
d’accouchement.

l’égalité était d’argile alors. mais on osait au moins la
prononcer. sœurs prolétaires, sarcleuses infatigables
de la domination masculine. révérence à vous d’avoir
été au regard des ronces.

* * *

Figés sur la pellicule, tous ces êtres prennent des airs de héros de roman ; imprimées sur la page, les pensées, fulgurances, intuitions versifiées sonnent comme des aphorismes solennels.
Mais aucun de ces êtres n’a vécu cette scène, n’a été présent en ce lieu, à cet instant, pour tourner sujet de photo – une large partie d’entre eux n’a même sans doute jamais su qu’une image était en train de se créer – ; ils ont vécu, ce moment parmi tous les autres, et c’est cette éthique de l’inadvertance qui fait de l’image une matière poétique, une matière humaine.
Extrait de l’Avant-voir de David Paigneau

* * *

Poèmes extraits du recueil Ohitza. Les poèmes en caractères classiques sont d’Anne Barbusse, ceux en italiques sont de loan diaz.

Paru aux Editions POÉTISTHME, Collection GYROVAGUE, 161 p., 2024. Le livre papier à 20 euros est à commander ici.

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