Les Anges dans la Peinture,
éditions Hazan,
Laurent Bolard
(Entretien avec l’auteur. Historien de l’art, homme de lettres, il a publié plusieurs ouvrages, dont Rome des peintres et des écrivains, Portraits d’Italie et Histoire de Naples.)
Les anges… Ils sont réputés être purs, innocents, beaux, légers… mais ils sont incomplets puisqu’ils n’ont pas de sexe !
Oh si, ils en ont un ! Bien défini, même : masculin. Tout le démontre. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, lorsque le mot ange ne figure pas, il est remplacé par le pronom « il ». De plus, lorsqu’ils ne sont pas qualifiés d’anges, ils sont dits hommes, au sens masculin, et apparaissent sous la forme d’hommes. Mieux : messagers de Dieu, ils sont parfois Dieu lui-même, lequel s’exprime par leur bouche, employant le « je » de circonstance. Or Dieu est homme, figure patriarcale par excellence, surtout dans les sociétés antiques du Proche-Orient. Donc, les anges ont bien un sexe.
Pourtant, Pourtant, lorsque l’on regarde les peintures illustrant votre livre…
Justement. Notre imaginaire des anges a été façonné par la peinture occidentale : c’est elle, surtout, qui a refusé de leur donner un sexe défini. Ou plus précisément qui en a fait des créatures androgynes. Même si, en regardant attentivement les peintures, on peut remarquer que souvent, la partie masculine l’emporte.
Des anges, on n’en a jamais vus, comme aurait dit Courbet. Dès lors, sur quoi les peintres se sont-ils fondés pour les représenter ?
On peut supposer que les peintres non plus n’en avaient jamais vus… Leur imagination a pallié cette absence en l’augmentant ici et là des suggestions ou des exigences des commanditaires. On remarque toutefois un trait récurrent dans leur image, les ailes, bien sûr ! N’oublions pas, cependant, que dans les textes anciens, l’ange ne vole pas, il apparaît (quand il n’est pas le résultat d’une vision émanant d’un songe) : il se matérialise en quelque sorte de façon spontanée. Mais ce genre d’évènement est difficile à rendre en peinture et de plus malaisé à appréhender pour les potentiels spectateurs des œuvres d’art : d’où la nécessité des ailes puisqu’il vient du ciel, comme les oiseaux…
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Les anges sont nombreux, et doivent donc se ressembler… Comment les artistes les ont-ils distingués ?
Nombreux, ils le sont ‒ les textes évoquent volontiers des cohortes, des légions, voire des armées célestes. Mais ils ne se ressemblent pas, loin de là, et sont même d’une infinie variété : les illustrations du livre le montrent très bien, notamment grâce à son format et aux reproductions de détails… Depuis la Renaissance et jusqu’au XIXe siècle, les peintres ont fait assaut d’originalité dans leurs représentations.
Plus précisément ?
Si, toujours, ils apparaissent, ils le font en songe ou en vision, comme je l’ai dit, au ciel ou sur terre et en ce cas dans la nature ou dans un intérieur. Certains ‒ la plupart ‒ parlent : ce sont les messagers de Dieu. D’autres agissent : ils annoncent tel ou tel évènement (la naissance de Jésus au premier chef), fustigent saint Jérôme, délivrent ou soutiennent des martyrs, consolent le Christ, chassent ou combattent des démons… Autant d’actions, autant d’attitudes, d’expressions, de gestes différents, qui reflètent la variété des sujets ‒ Annonciation, Vierge en majesté, songes de saint Joseph, innombrables scènes de martyres… Ajoutez à cela les visages et les corps d’une grande diversité, avec pour seul point commun la beauté. Plus les vêtements, simples ou luxueux, blancs ou colorés, transparents ou non. Et n’oublions pas l’attrait, pour ne pas dire la séduction qu’ils peuvent exercer sur le spectateur, à commencer par la plus suggestive, celle de l’érotisme !
Et quel est votre ange préféré ?
Je ne saurais trancher, j’en ai tellement vus (en peinture !) ! Alors, disons :
Voilà un livre qui s’annonce passionnant et une bonne idée de cadeau de Noël. Sur le sexe des anges, c’est vrai, facile à constater, le prétendu « pas de sexe » veut dire sexe masculin. Comme pour Dieu quoi. Je suis souvent restée songeuse aussi devant le non-dit de certaines images : ce vieux barbu Dieu entouré d’un essaim de jeunes garçons impubères …
Merci pour la passion ! Relativement au sexe, il existe néanmoins quelques ambiguïtés, rares il est vrai, dans leurs représentations qui les montrent quasiment féminins, chez Vasari, par exemple, ou Parmigianino. Dieu vieux et barbu, oui : c’est pour les artistes et leurs commanditaires une façon de souligner sa sagesse (liée au grand âge…) et de dire allusivement son éternité, allusivement puisque cette éternité est bien sûr irreprésentable. L’essaim de jeunes garçons impubères (en fait, des anges ou chérubins), certes il y en a, mais pas tant que cela : le plus célèbre est sans conteste celui de la Création de l’homme par Michel-Ange. Mais on connaît Michel-Ange…
Dans certaines annonciations, comme dans la photo de couverture, l’ange est plus intéressant à regarder que Marie, comme si l’événement religieux était pour le peintre prétexte à montrer sa virtuosité.
Cela en effet peut jouer. Toutefois, le « personnage » de la Vierge exige de par son importance et son rôle davantage de contraintes et de conventions ; sa représentation est bien plus codifiée que celle des anges pour lesquels les artistes sont relativement libres de leur choix esthétique et même iconographiques – au point qu’ils peuvent même être représentés sans leur attribut fondamental, les ailes.
Oui ces messagers, ces êtres d’entre deux mondes, d’entre deux sexes apparaissent, et les ailes permettent souvent de jouer le suspendu du temps et de régaler la virtuosité imaginaire de l’artiste…quant à leur sexe à dominance masculine, je m’interroge sur la place pratique des modèles, du moins jusqu’à un certain moment toujours masculins, et on observe, même pour la représentation des personnages féminins des corps assez virils sur lesquels on pose des visages « angéliquement » féminins … ds le tableau Art Nouveau dont vous mettez le lien, le visage de l’ange est extrêmement délicat et la foison d’ornementations autour de son corps, dans son drapé, évoque la féminité, sans parler de sa chevelure ophélienne…
Quant aux chérubins ou séraphins qui ne sont que têtes d’enfants et ailes, pas de corps, sont-ils ceux qui ont lancé ce doute sur le sexe des anges ?
En tous cas l’entretien me donne envie de me procurer le livre, car la passion des anges en peinture, ça me parle… comment les artistes incarnent de façon spécifique des créatures de médiation, sans cesse là pour nous dire que nous ne sommes pas que viande, que certaines choses ou personnes nous suspendent dans des moments hors du temps périssable… via des réalisations plastiques inattendues.
Bref j’espère qu’un père ou une mère Noel me l’apportera!
Sinon je suis aussi attentive aux représentations des démons, pas inintéressantes du tout, souvent droles, mais certes moins gratifiantes : avez-vous l’intention de vous occuper d’eux?
Non, je ne m’occuperai pas des démons : je les voue, si j’ose dire, aux gémonies. Pour ce qui touche aux chérubins, leurs représentations sont issues, je pense, du monde de l’enfance tel que l’avaient définie les Romains, entre puerilitas et infantia, postérieure à la parole et antérieure à elle.
Les modèles, les peintres n’en manquaient pas, aussi bien des hommes que des femmes ; et pour celles-ci, lorsque s’imposait la nécessité de la nudité, ils les prenaient en général parmi les prostituées. Sinon, dans les représentations, on trouve en définitive quasiment tous les types physiques plus ou moins féminins, plus ou moins virils, avec tout de même une prédilection pour l’androgynie.