dans la fugue l’enfant a laissé la mère par derrière
et les éducatrices spécialisées chargées
de rafistoler les manques
il a aussi oublié le roman de Balzac
après avoir volé les affiches de cinéma il a couru
jusqu’à la mer, jamais vue
la mer-image le cinéma purifié par le sel
et le noir et blanc, il a couru
pour nous offrir le plus intense regard-caméra
de l’enfant sans mère, après pommiers et prés
fermes vaches linge bocages et barrières
la musique ne commence qu’avec l’estuaire et la mer
la course ne s’arrête que sur la plage
puis il regarde à droite à gauche sur le sable horizontal
l’image noir et blanc densifie la solitude
l’image hurle de cinéma
première flaque de marée basse, gosse épuisé
musique ralentie, panoramique serré
un enfant court sur la plage grise
il franchit alors des traces de pas
sculptées dans les sables
obliquant vers la falaise tombée au fond du cadre
un escalier de béton descend vers toutes les grèves
puis il met ses pieds dans l’eau, regarde les vagues mourantes
l’image est orpheline de toutes les mères mauvaises
la caméra latérale s’est déplacée derrière lui, il se retourne
puis il vient vers nous, il nous regarde, du haut de l’enfance
arrêt sur image
portrait libre, yeux inquiets en point d’interrogation
cheveux drus et col noir relevé, mer immobilisée
visage libre capturé de cinéma
arrêt sur image arrêt sur désir
visage sur image
arrêt sur image, l’humanité défie son spectateur
(François Truffaut, Les 400 coups, 1959)
Oui séquence magnifique et coup (de poing) de génie que cette dernière image. Je me souviens avoir vu le film avec des élèves de 3°. L’une d’elles avait fondu en larmes et m’avait simplement dit : c’est tellement beau.
C’est en effet une fin bouleversante, tellement ouverte aussi tous les possibles, malgré tous les désamours précédents, et ce regard-caméra est extraordinaire… Merci Ariane pour le partage, que des élèves puissent être émus ainsi me touche beaucoup…