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UN PETIT PROJET DE LONGUE DATE
Gabriele Chiari, Camille Saint-Jacques, Alain Sicard

 

GABRIELE :
Je garde un excellent souvenir de votre visite dans mon atelier vide, qui accueillera notre exposition. Un reflet, d’une certaine manière, de notre discussion sur la feuille blanche de l’œuvre en devenir : Alain, comment penses-tu la notion de séance dans ton processus de travail ?
Camille, tu disais ne jamais travailler : comment tes œuvres prennent- elles forme malgré tout?

CAMILLE :
Il m’arrive de peindre et d’écrire pour savoir où j’en suis de ma vie, voilà tout. Comme le dit très bien Italo Calvino, l’imagination est un pays où il pleut. Parfois il pleut, parfois non ; pleuvoir n’est pas un métier. Parallèlement, je travaille pour gagner ma vie. Créer n’est pas un métier. Je sais bien que nous vivons dans une société qui a le culte du « professionnel », qu’il est donc convenu d’envisager la peinture comme un métier, celui d’artiste. Mais on oublie que ce statut social est plutôt récent, la Renaissance, et encore. Si on le compare à ce qui se pratique dans d’autres cultures que la nôtre, alors c’est une exception. Il se trouve que je peins mais je ne souhaite pas déroger, et considérer la création comme un travail relevant d’une pratique régulière, d’une économie, d’un statut social particulier. Si je peins c’est bien, si je ne peins pas j’écris, et c’est bien aussi, si rien ne vient c’est pareil. L’art permet justement de jouir d’une totale liberté. Celles et ceux qui se pensent comme des professionnel(le)s de la peinture et brandissent des cartes officielles, ont peur de leur liberté. Ce n’est pas un bon exemple à donner. Je regrette de ne pas jouer de la musique et surtout de ne pas danser. Cela élargirait encore la liberté dont je jouis chaque jour, mais j’ai la peinture et l’écriture, cela suffit à me rendre heureux. Rabaisser cette joie à un travail me paraît un grand gâchis. Et puis, on œuvre toujours trop… Ainsi, peindre ou dessiner consiste à inventer une langue que j’ignore et qui n’existe pas encore.
PS : Un petit projet de longue date ferait un très beau titre pour notre exposition, qu’en pensez-vous ?

ALAIN :
Bravo Camille pour ta proposition de titre, et surtout merci à toi Gabriele de nous l’avoir soufflée. Elle me convient parfaitement. Beaucoup de choses à dire à la suite de ton intervention Camille, j’y réagirai plus tard, mais je vais aujourd’hui tâcher de répondre succinctement à ta question Gabriele.
Très pragmatiquement, les « séances de travail », à raison d’une en moyenne par semaine, correspondent à une journée de repos offerte par ma deuxième activité. Ce jour-là, je me consacre pleinement à la peinture. Cela commence par une matinée de purge, où il m’arrive d’aller seulement me promener, passer à la FNAC, regarder les disques, à Graphigro où je n’achèterai rien, ne rien faire d’important. Toujours en matinée, je mets l’atelier en mode « action ». Préparation du matériel, des bâches de protection etc. L’après-midi, je peux passer six à sept heures, à peindre, au son d’un programme musical soigneusement choisi, et d’un thé vietnamien ou japonais. En fin de journée, il me faut faire la vaisselle, ranger l’ensemble et faire repasser l’atelier en mode « repos ». Ce n’est que le lendemain, que je pourrai prendre la mesure du travail accompli.
A suivre …

GABRIELE :
L’idée de retenir ma formule spontanée comme titre pour notre exposition me plaît tout à fait dans ce qu’elle dit de la simplicité du désir de travailler ensemble. Travailler – puis-je oser le terme ? Discuter, écrire, rire, créer, montrer, nous rencontrer ?
Je me souviens très bien, Camille, de la présentation de ton livre Retrouvez le plaisir de créer, l’art vous appartient ! à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, sans doute en 2016, dans lequel tu fais l’éloge de la peinture « en amateur ». Une liberté de ton et d’esprit qui m’avait déjà réjouie à l’époque et que je retrouve dans tes mots sur ta pratique. Comme si l’art de ne pas se prendre trop au sérieux était une bonne façon d’être au rendez-vous avec la peinture.
Un rendez-vous que nous orchestrons de façon assez différente. Si toi, Camille, tu sembles aller et venir, porter un regard, bouger un élément, apporter une touche à une œuvre en cours comme si c’était une activité parmi d’autres dans ton quotidien, sans hiérarchie particulière, je te rejoins, Alain, sur la manière assez ritualisée que tu décris à propos de tes temps de peinture. Là aussi, un souvenir surgit, celui d’une visite d’atelier que je daterais à peu près de 2019, et qui me permet de visualiser l’importance donnée au cadre, non seulement temporel, mais aussi spatial au sein de l’atelier. Un univers soigné, aménagé au plus juste pour pouvoir entrer dans le travail, peindre, accrocher, regarder.
De mon côté, le temps consacré à la peinture alterne également avec celui que je dois à une seconde activité. Ce que j’aime le plus, ce sont les journées entières libres. Je ne me lève pas trop tard et commence avec une séance de yoga pour réveiller ce corps qui réalisera des gestes qui doivent être justes. Entrer aussi dans une attention ouverte qui nécessite une coupure avec le quotidien. Je parle très peu et me rends vite à l’atelier pour ne rien perdre des instants précieux du matin. C’est là que je regarde les aquarelles en cours, prends des décisions pour savoir comment poursuivre une série d’essais, et en réalise un nouveau. Eventuellement deux, si j’ai plusieurs séries en cours. Ces étapes nécessitent un état de concentration assez élevé. Je reviens l’après-midi pour préparer une feuille de papier, tester une couleur, écrire, mais l’essentiel se passe le matin.

Il y a une chose qui me réjouit, c’est que notre projet t’ait donné envie, Camille, de te lancer dans le dessin aux crayons de couleurs, une technique que tu dis ne jamais avoir utilisée encore et que j’ai eu beaucoup de plaisir à pratiquer… Mais il est peut-être trop tôt pour en parler.

CAMILLE :
J’avais oublié mes crayons de couleur. Après des années, je les ai retrouvés avec grand plaisir. Ils étaient en vrac dans une boîte de gâteaux. Aussi, la première chose que j’ai faite, c’est de les étaler dans l’ordre correspondant à mon coloris. À ma grande surprise, je me suis rendu compte que mon coloris avait un peu changé. Je ne pensais pas cela possible… Nous avons tous un coloris, un peu comme on a un patrimoine génétique. Je me sens comme ces musiciens de blues d’autrefois, qui avaient trois ou quatre accords qu’ils savaient composer à l’infini. En touchant ces crayons, j’ai d’emblée ressenti le manque
de certaines couleurs comme des trous dans la gamme de couleurs. Comme s’il manquait des touches au piano. J’ai donc commencé par acheter de quoi rétablir l’ordre !
Je ne dessine pas vraiment – pas plus que je ne travaille ! – car je suis coloriste. Lorsque nous en avons parlé tous les trois, Alain m’a dit : « Tu vas faire des lignes… ». « Faire des lignes », cela m’a rappelé l’école. À mon époque, les cancres « faisaient des lignes », c’est-à-dire qu’on recopiait 20, 30… 100 fois une même phrase. Alors, désormais, c’est fini, je ne fais plus de lignes : je suis un cancre, mais je ne fais plus de lignes : je ne dessine pas. Je gribouille et je macule, même au crayon de couleur. Pour moi, l’usage de cet outil est très régressif, il me permet de me replonger à l’époque du CP où je refusais obstinément d’écrire. Ma mère était accablée. J’étais un enfant aimant, mais bon à rien, violent, sale, et voilà que je refusais d’apprendre à lire et à écrire, préférant gribouiller, en petit « attardé » que j’étais. Aujourd’hui, je retrouve ce plaisir intense. Je peux gribouiller sur n’importe quel type de papier. Seule la couleur du crayon importe. C’est la synthèse entre la peinture et l’écriture, sauf que je gribouille au lieu d’écrire :
une jouissance totale.

Avant que ne s’impose la dictature de la ligne, au Moyen-âge ou encore au début de la Renaissance, les peintres qui voulaient écrire quelque chose le faisaient le plus souvent en bas de l’image. Souvent, ils superposaient certaines lettres par plaisir, et pour que le message entre dans l’espace disponible, composant ainsi des anagrammes. Ces chevauchements de lettres m’inspirent beaucoup, car ils transgressent la ligne d’écriture, transformant la lettre-gramme en simple forme dont il est possible de faire des bouquets confus.

GABRIELE :
Je te remercie beaucoup, Camille, pour ce beau partage sur le plaisir du dessin, plaisir de l’enfance, et je suis très touchée que notre projet le ravive. L’histoire du dessin aux crayons de couleurs – pour ma part, j’ai une passion pour la gamme Polychromos – me fait penser à un travail de dessin que je faisais au début des années 2000. Je m’étais mise à reproduire méticuleusement, à échelle réduite, les grandes aquarelles que je faisais déjà à l’époque. Dans une interprétation très libre de la question benjaminienne de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, il me plaisait d’affirmer que le dessin documentaire, que j’avais d’ailleurs appris lors de fouilles archéologiques au Yémen, était plus proche des aquarelles que leur reproduction photographique. D’un point de vue technique, pas de lignes, mais un effleurement infini du carton Bristol pour apposer de petites touches de couleur, afin d’imiter les plages de dégradés et les auréoles dentelées des aquarelles. Il me fallait un temps fou pour réaliser ces dessins.
Autre chose que je souhaite vous écrire aujourd’hui, c’est que j’ai le plaisir assez rare d’être assise devant une aquarelle pas encore entièrement sèche, mais que je crois réussie. C’est un moment assez magique, quand au bout de quelques semaines d’essais, l’impression surgit, et je vois que cela a pris. Que c’est bon.

CAMILLE :
Gabriele, ton message me ravit. J’ai hâte de voir ces dessins au crayon de couleur, faits à partir des aquarelles. En te lisant, une photo de Cézanne m’est revenue en mémoire, celle où il sort de chez lui une chaise à la main. Je sais qu’elle fut prise dans son jardin lors d’un déjeuner avec des collectionneurs allemands, mais je l’ai toujours vue comme une adresse aux peintres, une invitation à s’asseoir et à prendre le temps.
Tu évoques ce « plaisir rare d’être assise devant une aquarelle ». Tu dis vrai, nous sommes toujours trop pressés d’en finir, d’aller au bout de nos idées, de nos projets, jamais assez contemplatifs. Du coup, ce qu’on fait nous échappe souvent. Feuerbach disait qu’une chaise était ce qui peut le mieux aider à comprendre la peinture ; il était d’accord avec Cézanne et toi !

Il n’y a aucun mérite à finir, finir c’est aussi « achever ». On doit une révérence à ce qui est fait, à la peinture qui vient, qui daigne passer par nous, par-là, et nous échappera bientôt si on n’y prend garde. Nous avons toujours beaucoup à apprendre de ce qui advient, au temps qu’il fait, à la météo de la création. Ce qu’on voit ne suffit pas. Refaire au crayon ce qui a déjà été fait au pinceau, est une manière de voir plus en profondeur. Le parallèle avec le geste de l’archéologue est juste : la main qui dessine des vestiges s’approprie leur logique interne mieux que ne le font une photo ou le regard. S’asseoir, c’est suspendre le temps nécessaire, pour accepter la « docte ignorance » qui est la nôtre lorsque la peinture advient. En 1901, à la cote 152 de son Journal, Klee écrit : « Tantôt je m’imaginais que je savais dessiner, tantôt que je ne savais rien (…/…) Je me rendis même à l’évidence que je n’apprendrais jamais à peindre ».

ALAIN :
Ce qui me travaille en ce moment, c’est comment la trace dessinée ou peinte réagit, en fonction de natures de supports différents, voire opposés. Le crayon de couleur sur le Bristol, ou sur du papier aquarelle, ce n’est pas la même chose.
Je vous livre un texte, où j’évoque le souhait d’un changement de technique et donc de support, pour des raisons que vous allez découvrir. En effet, je m’apercevais que ma peinture évoluait en même temps que le papier.
L’artiste évoqué au début, et le titre de ce texte, vont inévitablement vous rappeler beaucoup de choses !

Fertilité
…Gérard Gasiorowski cesse ces fictions et « revient » à la peinture en 1983, en rendant hommage aux peintres qu’il admire dans des œuvres sérielles ou de grandes dimensions qui constituent des offrandes au « fleuve peinture » mais aussi à des œuvres non picturales qui portent, pour Gasiorowski, le mystère de l’art : Lascaux, Mouk’i, Takanobu Foujiwara, Bruegel l’Ancien, Rembrandt, Chardin, Manet, Cézanne… Ce qui l’amènera à son œuvre ultime, Fertilité (1986) où Gasiorowski sent qu’il peut, enfin, peindre, libéré du poids de l’histoire. Malheureusement, il meurt l’année même de manière accidentelle.*
« Fertilité » fait partie des œuvres qui m’auront marqué dans cette fin du XXème siècle. Pas nécessairement pour la peinture elle-même, mais plutôt la façon dont l’œuvre advient au soir d’un parcours artistique complexe et dense.
C’est la dimension rédemptrice et surtout libératoire que je retiens.
Finir par Peindre quand même !
Comme si l’artiste en avait été empêché, se l’était interdit, malgré l’existence de nombreuses toiles à son catalogue.
« Fertilité » était une sorte d’acmé de la pensée de Gasiorowski et de sa pratique de la peinture.
Pendant très longtemps, j’ai pratiqué la peinture, guidé par une technique de travail très méthodique et aliénante.
Sur une feuille de papier lisse, dont le format était défini au préalable, j’étalais uniformément un liant liquide. Dans le frais de celui-ci, j’exécutais en quelques minutes, une première peinture. Une sorte de tour de chauffe, qui la plupart du temps, se révélait insatisfaisant. Je réhumidifiais alors la surface de mon papier, détruisais cette première étape par plusieurs passages de rouleau à peindre, et démarrais, sur la même feuille, une deuxième peinture. En s’amalgamant, elle se nourrissait des couleurs de la première étape. Ainsi, ma séance de travail ressemblait à une succession de réalisations/destructions de peintures, en un nombre d’étapes, que mon insatisfaction seule, prolongeait. Lorsque je pensais « tenir » quelque chose, la feuille était couchée sur la table à plat. Cette décision était irrévocable, car une fois sèche, je ne pouvais apporter aucune modification, aucun repentir. Au terme de la séance, en examinant l’œuvre terminée, j’étais habité par plusieurs sentiments concomitants : le regret de ne pas avoir produit d’autres étapes supplémentaires, le remords de ne pas m’être arrêté à l’étape précédente, qui me semblait bien meilleure, ou la satisfaction, bien qu’incertaine, du résultat, arrivé au juste moment.
Ce processus m’est souvent apparu comme manquant de détermination. Cela correspondait au refus de faire confiance au premier jet. Quand aurais-je la force de peindre sans les hésitations, les regrets, les remords, les renoncements ?
Je me rêvais, dans la réalisation d’un geste unique, à l’orientale, pensé, exécuté dans son unicité, interdisant toutes alternatives.
Les premières tentatives ont eu lieu à partir de 2020. Pas en un coup, mais progressivement, sur certains formats. On ne se débarrasse pas ainsi d’années de pratique. Une forme de maturité picturale, une confiance dans mon geste, ma main sont advenues. Cette technique de travail ancienne ne sera pas forcément abandonnée, mais la conscience que je peux faire sans, représente une avancée déjà très significative. Je sens que modestement, ma « Fertilité », n’est pas loin.
J’espère vivre suffisamment longtemps pour en jouir !

CAMILLE :
On a tous des idées, des recettes, un « confort moderne » auquel on tient, parce qu’on ne s’y trouve jamais pris au dépourvu : l’impression – pas fausse d’ailleurs – qu’on pourrait entrer dans l’atelier n’importe quand et se mettre à peindre… Et puis, comme le dit Alain, avec la « maturité » vient la « fertilité », ce que Camus, au tout début de La Peste appelle « le soupçon d’autre chose » : « Mais il est des villes et des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon d’autre chose. En général, cela ne change pas leur vie. Seulement, il y a eu le soupçon, et c’est toujours cela de gagné ». Nous, les peintres, en sommes là. Un jour nous avons le soupçon que nous ressentons comme un besoin. Tout à coup, il y a d’un côté ce qu’on croit savoir et de l’autre la face cachée de la Lune qui nous attire. On pressent que l’essentiel nous a échappé et on s’inquiète, comme toi, Alain. Aurons-nous le temps de nous perdre totalement, de nous laisser aller à la confusion finale ?
En te lisant, Alain, je repense au titre que nous avons choisi pour notre exposition : Un petit projet de longue date. Tout à coup, il sonne différemment à mes oreilles. Je me demande si nous n’avons pas tous, dès le début, le projet de rompre les amarres, non seulement avec le savoir-faire, mais aussi avec l’injonction de réussir une peinture, une œuvre. Souvent, je suis effaré par ce qui vient, c’est-à-dire « effrayé » par le côté farouche de ma maladresse, la dissonance des couleurs… Comme si un défi m’était lancé. Je ne me sens pas à la hauteur, mais m’avouant vaincu, je jouis aussi secrètement de ma défaite. Autrefois, j’effaçais ou bien je ne savais plus où me mettre. Aujourd’hui, je goûte ces retrouvailles avec le cancre, le petit débile, que je fus, et je trouve du plaisir à me libérer de la linéarité du temps, à me fondre dans une relativité complète, un « retour-amont » dit René Char, où l’on pourrait naître âgé et mourir enfant, après d’innombrables allers-retours. Si l’art est un mode de vie, il me semble important de promouvoir une économie de la création incluant toutes les phases qui la composent, talus et fossés, et de sortir de la téléologie d’un accomplissement toujours à venir et inaccessible.

GABRIELE :
La chaise. J’étais étudiante à l’école des Beaux-arts quand je suis allée pour la première fois à la galerie Fournier, rue du Bac. Timidement, j’avais poussé la porte pour venir voir l’exposition de Bernard Piffaretti, c’était sans doute en 1999 ou 2000. Très impressionnée, j’avais longuement contemplé les tableaux exposés. Puis Jean Fournier m’avait installé une chaise, en plein milieu de la galerie, en me disant « Asseyez-vous, Mademoiselle. Il faut être bien installée pour regarder la peinture. »


Je te remercie, Alain, de nous joindre ce texte très riche sur l’évolution de ton travail, et qui répond en même temps à la question que je me pose sur l’articulation des peintures entre elles au cours d’une séance. Beaucoup de choses résonnent avec ma pratique, cette polarité, par exemple, entre réalisation et destruction. Si dans ton travail plus ancien, les états d’une peinture s’inscrivaient les uns après les autres sur le support, sans pour autant en garder de mémoire formelle, chez moi, un essai non retenu sera détruit, pour devenir la matrice du prochain, sous forme de pochoir, test de couleur, ou feuille pour chercher un geste.

 

Comme toi à propos de ton travail récent, je regarde le mien dans un lien certain avec le geste oriental, sans pourtant me restreindre à un seul. Dans tous les cas, je suis pleinement convaincue de la liberté que ce rapport nouveau au geste offre à ton champ d’expression !
Puis, je me reconnais tellement dans ce que tu dis à propos des sentiments concomitants après avoir réalisé une peinture, oscillant entre regret, doute, (in)satisfaction, parfois de la joie, car tout va si vite, je dois décider dans la seconde, et ne peux pas revenir en arrière. Cela peut s’exprimer sous forme d’une tension, qui rend le processus pas si aisé.
Il faudra toujours recommencer.
Et c’est bien le papier qui est le dénominateur commun, entre la nécessité de trouver « un support qui bouge », et le lieu où la peinture peut « advenir », au sens littéral du terme. Je crois qu’il me serait bien difficile de peindre sur un support qui n’ait pas cette capacité de mouvement, ce qui permet justement d’ouvrir le champ des possibles. Une couleur, un geste, et advienne que pourra, tout au long du processus d’infusion de l’eau et des pigments dans l’épaisseur de la matière, qui s’allonge, se cabre, se rétracte, se déforme, et contraint la forme colorée, la façonne.
« Talus et fossés » : aujourd’hui, je suis assise devant un « raté heureux ». Raté, car le résultat est infiniment grossier. Mais heureux, dans le plaisir vif que j’ai eu à le réaliser, à y croire pleinement.

 

ALAIN :
Merci Gabriele pour tes « dessins au crayon de couleur » d’après Chiari, ils sont très réussis, et interrogent !
Merci Camille pour ton retour sur mon texte : parfois, en regardant les innombrables peintures que j’ai réalisées, je me demande si elles ne sont qu’une succession de peintures les unes derrière les autres, ou si un obscur dessein se cache derrière cette profusion. « Fertilité » de Gasiorowski me donne le sentiment d’un accomplissement, ou le « soupçon d’autre chose ». Peut-être que pour moi, cet « autre chose » restera invisible, mais le jeu en vaut la chandelle !
Le soupçon d’autre chose, voilà un titre qui aurait bien convenu pour notre exposition !

 

 

Paris, Février 2025

Echanges en vue de l’exposition Un petit projet de longue date au 42, rue du Capitaine Marchal, Paris XX du 21 au 22 juin 2025.

 

* Eric Suchère, Construction, ouvrage, voie, site internet du Frac Auvergne

 

Visuels :

Vues de l’atelier d’Alain Sicard

Paul Cézanne chez lui à Aix-en-Provence, le 13 avril 1906. Bildarchiv Marburg

Vue de l’atelier de Gabriele Chiari (en fin)

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