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Enfants seuls et Jardinier

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Première petite conversation avec Anna Ayanoglou :

– Allo, Anna, comment vas-tu ?

– Bien Pierre, et toi ?

–J’ai envie de lire la poésie mais…

–Je te recommande Poèmes pour enfants seuls d’Etienne Paulin, paru en 2023

chez Gallimard.

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Poèmes pour enfants seuls

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P.H-SC.: Etienne Paulin,

Votre titre Poèmes pour enfants seuls.

En fait, à l’exception du bestiaire qu’on trouve au début de la troisième partie intitulée Terrain d’étourderie, et de quelques poèmes tel celui qui conclut cette troisième partie, Pastel, ces poèmes ne semblent pas écrits pour les enfants.

Etienne: C’est vrai, et peut-être pour enfants n’est-il pas à entendre à proprement parler comme « à destination des enfants » ; je n’en sais rien, à vrai dire. À l’origine de ce projet, je voulais écrire avec les mots les plus simples. Que rien, au niveau du sens strict du poème, n’encombre la compréhension. Je songe aussi à la belle phrase de Michel Jonasz : « Les hommes sont toujours des enfants. » Ou encore à la dédicace de Saint-Exupéry à Léon Werth : « À Léon Werth quand il était petit garçon ». Je crois que nous restons enfants et que la poésie vient nous le rappeler.

P.H-SC.: Toutefois le monde de l’enfance est évoqué par certains mots, le nom trésor, par exemple. Mais ce trésor semble désormais inaccessible, comme le suggère « adieu trésor » p.51 dans la première partie, qui, notons-le, est intitulée Fin du trésor. L’évocation de l’enfance semble empreinte d’une tristesse peut-être présente dès le titre dans la solitude qui affecte les enfants, poésie lyrique donc et même élégiaque en pente douce.

Etienne: Sans doute, en effet, le trésor évoque-t-il l’enfance, et l’écriture hésite entre un constat – l’enfance est terminée – et un rêve, celui de l’appeler, de la revoir.

P.H-SC.: Cependant, une enfance heureuse apparaît dans la dernière partie intitulée Ariel, nom de la femme aimée (et dans La Tempête de Shakespeare, d’un esprit qui exerce des enchantements, une sorte de fée) : « vie d’avant / ronds dans l’eau / facéties / grand désordre / et le grain de ta peau » p.131, où l’enfance se perçoit dans la simplicité, presque la naïveté, de la syntaxe et des jeux. D’ailleurs, nombreux sont les poèmes comptant de quatre à six vers, rythmés par des vers de quatre à huit syllabes, qui évoquent des comptines, voire des berceuses.

Etienne: Oui, je suis très attaché aux rythmes enfantins, à la fraîcheur musicale des comptines et des berceuses. Il m’arrive d’avoir beaucoup plus envie d’entendre la Berceuse à Frédéric merveilleusement chantée par Bourvil qu’une musique plus savante ou « sérieuse ». Un poème comme Funèbre de Soupault, aux allures de comptine pour enfants (Monsieur Miroir/marchand d’habits/est mort hier soir à Paris), avec ses quelques vers, n’en finit pas de résonner. Tout ce qui chante, même avec les moyens les plus pauvres, m’enthousiasme et, par contagion, me donner envie de chanter.

En exergue du recueil, il y a une citation de La folle complainte de Trenet. Ce n’est pas par hasard, même si je n’en avais pas conscience au moment où je l’ai choisie. Dans cette chanson, cet artiste réussit le tour de force de réunir, l’air de rien, les choses les plus légères et les plus graves. J’aime quand la poésie sonne de cette façon-là.

P.H-SC.: « Avec les moyens les plus pauvres, » dites-vous, tout à l’heure c’était « avec les mots les plus simples » , votre ambition littéraire vise apparemment à une modestie de l’expression, qui tranche avec les paroles que l’on trouve souvent dans les espaces publics, réseaux sociaux ou autres…

Enfin p.137, vous écrivez, Etienne : « Ariel est là depuis toujours / dans un repli de mon vrai cœur d’enfant ». Ariel, c’est le titre de la dernière partie, et c’est aussi à elle qu’est dédié ce livre: infiniment pour Ariel. Ariel, la bienfaitrice ?

Etienne: La dernière partie est pour moi une sorte de contrepoint qui donne au recueil son sens véritable.

***

Seconde petite conversation avec Anna Ayanoglou :

– Allo, Anna, comment vas-tu ?

– Bien Pierre, et toi ?

– J’ai lu Poèmes pour enfants seuls d’Etienne Paulin, qui m’a beaucoup intéressé.

– Sais-tu que sa femme est poétesse ? D’elle je te recommande Jardinier, paru en 2019.

– Pourquoi pas… Quel est son nom ?

– Ariel Spiegler, elle publie chez Gallimard.

– Ariel ? Elle se prénomme Ariel ?

– Oui, pourquoi ?

– Je vais lire Jardinier !

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Jardinier

Ariel Spiegler, une poésie, lyrique et vigoureuse.

Il y a une souffrance. Le mot douleur dès le premier poème p.13, puis aux pages 14 et 16 ; souffrance à la page 17, mal aux p.18 et 19, et 27 ; et de nouveau douleur aux p. 29 et 31. Toute la première partie est hantée par une souffrance. Elle n’est pas définie. Dans la partie IV, des obsèques : Pour toujours et à jamais, le petit Paul.(p.66). Peut-être avons-nous là une cause, lourde.

Il y a l’amour, l’attirance vers un homme. Si l’attirance est dite dès le troisième poème, page 15, dans l’expression l’appel d’un homme – avec la perturbation qu’elle crée dans celle qui parle : Aucune douleur n’arrête/ ce qui se soulève avec lui (p.16) –, le mot amour, en revanche, n’apparaît pas avant la page 20 (deux fois à la suite).

Et donc un conflit entre la puissance d’une tristesse et l’attraction vers un homme. Entre deux formes d’amour.

Ce conflit – autobiographique semble-t-il ; la page 41, dans la partie V, nous apprend que la parleuse se prénomme, Ariel et qu’elle écrit des poèmes – suscite une conversation entre ce qu’est encore la poétesse, une femme en deuil, et ce qu’elle a commencé à être, une femme amoureuse. La seconde s’efforçant de convaincre la première dès les premiers vers : Ta solitude t’appelle, / Sois silencieuse, petite, / rien de plus. ( Deux sortes d’appel, donc). Et c’est sans doute à cette petite qu’au dernier chant, Ariel l’amoureuse adresse cette injonction : Meurs, toi qui n’es pas moi / ou qui, d’être moi, m’emprisonnes.

Et il y a l’univers de la religion, chrétienne en l’occurrence. Son vocabulaire : anges, bergers, bénédiction, Jean-Baptiste, Pierre, Marie, grâce, baptême, légion, prière etc. Ses citations et allusions, le dernier vers du recueil, par exemple, Donne-moi à boire, parole adressée par Jésus à la Samaritaine, dans l’évangile de Jean, et qui fait ici écho à la citation biblique en épigraphe, Il nous viendra comme la pluie (livre d’Osée). Le titre enfin: Jardinier. Dans l’évangile de Jean encore, lorsque Marie-Madeleine se rend au tombeau du Christ, elle rencontre un homme qu’elle prend pour un jardinier. C’est Jésus, ressuscité d’entre les morts, lui.

Mais si dans la spiritualité chrétienne, les mots de l’amour permettent d’évoquer avec force la relation à Dieu, ici, semble-t-il, Ariel, c’est l’inverse : les mots de la piété sont employés à dire la passion amoureuse.

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A vous lire donc, et l’un et l’autre,

Pierre Hélène-Scande

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