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Depuis ma chère disparition

L’Echappée belle,

collection Ouvre-boîtes, éditrice Florence Issac, 2025.

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Rêve anagraphe

Le vent remue l’effluve de cette partie de la métamorphose qui portait ta trace émue,
Les semelles de sa tempête passée caressent la trame du quotidien d’exil,

Du haut de ma cellule – un luth constellé, c’est peut-être celui qu’il aurait fallu éteindre en premier.

La difformité de l’espoir est comme une pendule sur nos têtes

À chaque mouvement qui se fige dans une perpétuité de questions insolubles. Parfois je rêve que le mouvement s’arrête et qu’un autre vent pénètre

et aère ces pièces –trop vastes pour faire sortir la nuit. Les pièces de la maison du temps où le Temps suspendu ne cesse jamais de passer, le Temps des disparus et des revenants toujours dans un même coin de la pièce.

Cette maison plus vaste que les bleds est peut-être une fenêtre ouverte vers toi mais depuis la cellule de ma disparition, je longe le refuge de cette disparité où tu n’es pas resté me rattraper avec le temps perdu, ces pièces trop vastes pour sortir de la nuit des temples de l’oubli

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Mathématique de l’âme

Je plonge à contre-temps, à contre-courant d’ailes dans le souvenir immense de ta disparition. Ta chère Disparition. Je cherche du bout des doigts un rappel de quand nous étions encore jeunes, à deux, dans ce rêve…

J’étais moi aussi un océan jadis – te souviens-tu ? Qui cherchait une forêt au milieu d’une île aussi connue qu’étrangère, une chute plus proche d’une montée d’oxygène…

Mais depuis, vois-tu, il y a des lustres
Je grimpe et j’escalade les échelles des souvenirs, ai-je encore perdu mon chemin (pour peu que je l’aie jamais trouvé ?) Je suis une plume aussi légère que ma perdition complète…

Si tu as eu peur de ce qui s’annonçait, comme moi au commencement, et tu as laissé ton crochet pour venir vers moi. Je tendrai les mains vers toi aussi longtemps que ma force de résistance l’endurera…

Je suis une route sans chemin
Au croisement de ta chute-lumière.

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Pensées vers une rebelle

Vous croyiez que j’étais sauvée, autant que perdue, que mes anges tombés allaient se relever, que l’espoir enterré dans la bouée n’était qu’un leurre, que les pas lourds retentissant sur le plancher annonçaient l’arrivée au débarcadère.

Mais tout cela est oublié, perdu et les questions – infiniment plus complexes : j’ai atterri parmi des ombres, le chemin tracé est une tranchée sans issue,

L’avenir se dessine là où manque la consolation.

Je ramasse les feuilles qu’il aurait fallu faire fondre,
La poésie est un nuage et les draps étendus sous le ciel bleu font partie du réel, Mais un réel qu’il serait impossible de décrire sans omettre la faille générationnelle. Nous sommes les branches de l’olivier dont il faut soigner les racines et la terre pleure la venue de l’élixir de la guérison. C’est comme avec l’abeille, il suffit que la fleur la soutienne pour boire: il faut toujours un autre pour tenir la main, celle qu’on tend vers le nuage très tôt le matin parmi les gouttes de rosée. Les larmes de ma mère tombaient aussi lourdement que les miennes car nous avons toujours été seules et maintenant nous sommes aussi séparées dans la mésaventure depuis la naissance de l’

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Depuis ma chère disparition

Ce qui nous a fait souffrir nous a brisés mais ne nous détruira jamais puisque je te tends la main qu’ils ont voulu m’arracher et c’est sans doute parce que tu as toujours été là, même avant ma naissance et tu t’y attendais, tu m’attendais, moi, même avant l’attente et mes pas effrénés, impatients de t’atteindre sur des terres que mes pieds n’avaient jamais connues mais qui me reconnaîtraient car tôt ou tard le bonheur tomberait du ciel entre nos coudes bercés dans la fragilité de nos larmes qui nous ont rendus d’acier et c’est peut-être pour cela je ne peux plus jamais te perdre. Tu es là, au fond de ma disparition, ma chère disparition que je connais.

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(Photo, pexels, Francesco Ungaro)

Iren Mihaylova

Iren Mihaylova

Vit à Paris. Née à Sofia (Bulgarie) en 1996, Iren Mihaylova est une poète, psychologue clinicienne et écrivaine qui écrit en français, bulgare, anglais et espagnol. Elle publie textes et poèmes dans des revues littéraires bulgares, allemandes et françaises. Elle va publier en mai 2023 son premier livre : un recueil de poèmes : Tirer les ombres chez Sans Crispation Edition. Dans ses écrits poétiques et romanesques, elle intègre ses connaissances en psychanalyse et en musique avec la sonorité du vers classique et la sincérité de la poésie en prose.

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