Salimata Togora vit à Bamako. Elle a fait des études de mathématiques. Elle écrit des pièces de théâtre, des nouvelles et des poèmes. Elle se bat pour la cause des femmes et publie des articles sur la politique au Mali.
«Les filles est une pièce de théâtre sur cinq amies qui, tout en aidant l’une d’entre elles à conquérir l’homme de ses rêves, dévoilent sans tabou leurs failles, blessures, espoirs et rêves de bonheur.»
Scène 2
Être femme, c’est immense
(Toutes les filles chez Rose sauf Fify)
Nana – Être femme c’est immense.
Deny – A côté de tout grand homme il y a une femme.
Nana – Parfois, c’est derrière
Deny – Out Barack a sa Michelle
Rose – Il a été licencié
Toute – Encore ?
Nana – Mais il reste un mec génial
Rose – Il a été licencié et il a un début de prostate
Toutes – Mince !
Deny – Le pauvre. Comment il gère ?
Rose – Je suis là, donc ça va
Nana – C’est ça le mariage ma puce. Courage
Rose – On ne quitte pas un homme à terre… N’est-ce pas ?
Mabel – Yep ! Sauf une vraie garce
Rose – Je ne suis pas une garce
Mabel – C’est vrai. Infidèle mais pas garce
Toutes – Mabel !
Nana – Tu es si courageuse. Nous sommes là, tu pourras toujours compter sur nous
Rose – Je vais désormais travailler pour le nourrir et pour qu’il continue de me baiser… en
plus c’est moi qui fais tout le boulot. Il aime que je le chevauche. Mais j’ai horreur de le
chevaucher. Je l’aide à me violer
Deny – Oh Rose… Nana dit quelque chose
(Nana reste silencieuse)
Deny – Dis-lui que tu n’as plus envie de faire l’amour comme ça
Rose – Que je n’ai plus envie de faire l’amour du tout ? Il est mon mari.
Nana – Tu as de la chance
Rose – Qu’il abuse de moi ?
Nana – Qu’il te soit fidèle
(Nana reprend sa posture silencieuse)
Deny – Chez moi, on lui aurait donné une deuxième femme pour qu’il te laisse tranquille
sans briser ton mariage
Nana – La polygamie est une abomination.
Deny – On a dit la même chose du mariage pour tous. Ne juge pas les cultures que tu ne
comprends pas
Mabel – C’est le même système que les concubines en Chine ou les maitresses en
Europe
Nana – Nuance ! Les maitresses ne sont jamais officielles et n’ont aucun droit comme
nous les épouses… le mariage est sacré.
Mabel – Bon on va lui trouver une maitresse en attendant que le désir revienne…
Rose – Il ne voudra jamais, il est accro
Nana – Tu as de la chance. Le mien me trouve horrible !
Deny – Vous avez aussi des problèmes?
Mabel – Non pas toi. Votre couple est tellement, tellement… normal
Nana – Il ne me touche plus depuis bientôt un an
Fify – Quoi !?
Mabel – Comment tu fais ?
Fify – Quitte-le
Nana – Je l’aime
Mabel – Pourquoi il exige que tu maigrisses alors qu’il ne te baise même pas
Fify – Prends un avocat avant que ça ne soit trop tard
Nana – Comment le payer ? Je n’ai pas de ressources, je n’ai jamais travaillé. Et puis les
petits gaillards adorent leur père… C’est un bon père, malgré tout
Fify – Si tu ne le quittes pas, c’est lui qui te quittera
Mabel – Elle a raison. Un homme ne fait pas tout ça sans qu’il n’ait quelqu’un
Deny – Le mariage n’est pas un boubou qu’on enlève quand ça devient trop lourd à porter
disait ma grand-mère
Rose – Non, c’est parfois aussi un énorme boulet qu’on traine toute une vie
Je vais le rassurer et lui donner mon corps pour qu’il jouisse
Je vais gérer ses finances, soigner ses blessures, cuisiner pour lui, et entretenir sa
maison…Tel est mon rôle. Mon accablant rôle d’épouse
Jour et nuit, il prendra ce qu’il a à prendre et je donnerai ce que je dois donner
Jour et nuit
Jour et nuit
Jour et nuit
Elle continue
Toutes – Rose, Rose, Rose !
(Silence)
Deny – Tu es une bonne épouse. Si tu étais chez nous et que tu avais des enfants, tes
enfants auraient la baraka
Rose – J’ai besoin d’une épaule qui m’accueille quand je suis fatiguée
J’ai besoin d’un roc pour m’arrimer quand je dérive, car souvent je dérive
Je ne … Je ne suis pas Nana, toujours là à s’occuper de tout le monde
Je n’ai pas cette force. Je ne l’ai jamais cherchée
Je n’ai pas d’enfants, je n’en veux pas, j’en suis incapable… et lui, il veut que je sois son
tout
Nana – J’adore être un roc …J’aime prendre soin de mon homme, de mes petits, de mon
intérieur, des autres… c’est ma vocation. Mais parfois, même un roc a besoin de
tendresse. Qu’on s’attarde quelquefois sur sa beauté préhistorique, qu’on le caresse et qu’on
l’admire. N’est-ce pas risible quand on est une mère de famille nombreuse de quarante
cinq ans ?
Mabel – Cela reste d’une évidence fracassante même à soixante-dix piges
Deny – Être femme, c’est immense
Rose – Pour ne pas mourir avec regret, Pour ne pas vieillir avec aigreur, pour sentir la vie,
il reste parfois la caresse des amants qui ré-initient aux chaleurs des sens
Deny – Est-ce ton cas ?
Mabel – « La chaleur des sens », belle expression, je prends
Nana – On devient tellement épouse qu’ils oublient qu’on est avant tout femme
.
Lecture publique de la pièce organisée par Radio France Internationale au festival d’Avignon en 2020.
Entretien avec Salimata Togora sur la chaîne malienne Kôrè Baro.
Bonjour, j’apprécie beaucoup ce tu fait. Je suis vraiment fan de cette lettre.
C’est une remarque bienvenue, Mahamadou. Cette page est, en effet, pleine de vivacité. 🙂
Un magnifique texte où l’autrice nous plonge dans l’univers des femmes avec fluidité et vivacité!
J’ai eu la chance de suivre par deux fois la lecture de ce texte et j’avoue qu’il est un miroir à travers lequel toute femme peut se regarder!