rien n’est simple je dis. je me termine. je ne m’aligne
pas sur vous. je suis peut-être fendu comme
des enfants. je crois que c’est
cela
qui les casse tout jeunes. qui les
retire lentement
de leurs jambes. les mine.
je suis peut-être fendu. je regarde
le parc. sans rire. je comprends ce que diraient
mes parents. ils verraient
dans le fils
peut-être quelque chose qui ne devrait pas
se fendre et qui le fait
quand même. flambe sa vie, se rate
se rompt, finalement. d’emblée de jeu
signe son armistice.
j’ai
mes bleus. des marques. j’ai le poumon
du monde. c’est triste d’être
cela. j’ai mes cicatrices
qui me rappellent tous les jours que je suis
un pauvre homme. je pars. et j’emporte avec moi
comme une foule de restes de casseroles
et j’emporte avec moi
des femmes pour
me divertir. m’aimer. je suis docile
comme il
faudrait. je ne demande qu’à
lâcher prise
un peu. qu’à me faire prendre
pour un autre, qui serait
moins frêle.
et comme ça j’avance dans mes années
folles. j’avance comme
dans un bain d’herbe tombale, de terre
aride, où je récite
des psaumes. où je marmonne
des choses jolies par-ci
par-là. je danse. avec mon tas de
maladresses. de pots
cassés. de choses tacites
que j’ai vécues. j’ai comme
une tête rase
baignant dans l’herbe
d’un beau jardin. d’un bal d’hiver. le front par terre
priant. dans l’herbe molle. donnant les vérités. j’ai comme
un mort dans les sandales.
ça ce n’est pas un homme grand qui porte
les étendards ou les musculatures
impressionnantes de ceux qu’on aime à lire
Homère Dante et d’autres pas nés pas lus encore
ça non. cette voix ce n’est pas
Homère ou Dante. non. c’est l’opposé
ce garçon là d’ici. tombé
par terre. l’opposé. c’est tout moi. comme une pousse
qui n’a pas bu son reste, comme un de ceux
qu’on irrite en parlant fort un peu trop fort.
car il a tout perdu ce gosse-là
ce gosse mordant la
pelouse, et qui s’isole.
j’ai mes défauts. j’attends
qu’on me retrouve qu’on me crucifie
sur une place pour
mes défauts. le saint esprit ne viendra pas.
tant pis, peut-être, et je le sais.
pourquoi dirais-je tout je me sens
comme un banc. comme une porte
dure
ouverte, froide
où nous avons discuté. le romarin derrière
mais je ne sens pas bon. je fais juste partie
du
décor, et je recule, et je recule.
je suis cette barrière qui limite
l’herbe. dans le parc. on l’enjambe.
à terme il faudra bien la dévisser.
C’est très beau, Victor. Déroutant et évident, aussi. À ne pas dévisser même si ça arrivera. Merci.
Oui, le mélange de brutalité, de faiblesse et d’autodérision est intéressant. J’aime les comparaisons comme « je me sens comme un banc. comme une porte ». Et le travail sur le rythme est efficace.
La force des doux, c’est ce que je me réjouis de lire dans ce beau poème, dans sa rugosité poreuse, qui est celle, légère, de la pierre ponce que la mer balade en tous lieux, et n’est pas dépourvue de pouvoir d’abrasion sur la violence et les prescriptions sociales des milieux, des réseaux ; tout comme la barrière, pouvoir de résistance à leurs assauts : encore dévissée et tombée, qui sait si elle ne les ferait pas tomber de cheval et voir un peu le monde depuis l’humus.
Juste un point : je m’interroge sur la nécessité, puisque vous choisissez de ponctuer solidement de points votre texte, de vous abstenir des initiales majuscules conventionnelles subséquentes. Je veux penser que c’est autre chose qu’une coquetterie de recherche, éclairez, je vous prie, ma lecture peut-être trop rapide, qui y cherche cohérence non par souci de convention mais de rigueur.
Question dont je ne prendrais pas la peine si votre écriture ne me semblait pas sérieusement digne d’intérêt.
Bonjour Laure-Anne, et merci de votre beau message, de l’intérêt que vous portez à mes textes, oui.
C’est toujours difficile de parler efficacement de ce qu’on fait, mais je dirai que j’ai besoin de niveler mon texte, baisser ma tessiture, pour être sobre. Je ne me sens pas la force de tenir la majuscule, je crois que c’est un peu trop claironnant et haut pour ce que je tente de dire (j’ai bien essayé, pourtant, mais on lisait ça autrement, ça faisait comme un collage artificiel). Sans majuscule, c’est plus juste, ça bégaie plus, ça donne aux points un flou qu’ils n’avaient pas. J’essaie de parler sobrement, tout bas.
Je ne sais pas si ce semblant de réponse peut vous satisfaire, mais en tout cas je vous salue bien chaleureusement.
Quel dévalement de vie, de rage, je l’ai lu avec mon souffle, je l’ai aimé avec mon vécu.
j’entends Brel dans ce rythme, à la relecture, je sens ses souffrances et celles d’un monde qui dit oui, qui dit non,qui dit pas, merci de l’avoir écrit et si les commentaires peuvent inter-agir, que ceux qui restent à la surface en leurs mots viennent creuser là où on est tous ensemble, et vive la poésie notre point commun.