I
Ici ce mai-là
l’hiver et le printemps avaient bien pleuré sur nos contrées d’os secs,
eaux et grisailles tous azimuts,
nos peaux nos yeux pleins de larmes du dehors
débords en dedans, et nous
quasi Hamlet Ophélie
rivières fatiguées au sang trop humide dilué
dans un canal
de pluies qui jouaient faux sur la scène locale
roulaient perdues sur béton sur plastique sur goudron
sans abreuver la vie.
Partir au moins
vers ce gris à sa place,
le faiseur de forêts de rivières,
où la terre boit comme un cheval,
où les pluies parlent aux baies rouges,
les vraies pluies avec leur vraie bile,
noire d’une grande absence de brise douce,
grosses et grises des sagas de marins tueurs aux iris lessivés
de contes de gardeuses d’oies,
cette encre descendante et drue,
et tâter de l’hyperbole mouillée froide sérieuse
mère de vrai vert pourtant
au vrai Nord till Sverige !
Mais aux Alpes suisses
la montagne gouttait à peine du nez
pas plus – mais la montagne, alors qui sait ?-
Lugano lac, et quelques gouttes chaudes à l’odeur de pas soulevés ont attendri la promenade aux jardins
fait crier plus aiguë la lumière sur le lac ;
le ciel sur cette scène a fait sa rock star déhanchée violette moulée de velours,
nous engonçait dans une bonne couveuse d’orage,
ça promettait
une saucée chaude monstre comme en août au Sud
bellissima pas mijaurée au moins,
lourde des langues d’orages désirés
par un siècle à peine plus vieux que nos parents poètes
ah ! ouvrir nos parapluies vains sous la rafale
de leurs vers !
Mais bonne blague la bombe
nuage se pousse vers les sommets
le soleil repointe sa trogne de bierfest :
va nous en mettre plein la vue va nous empêcher de clicher,
nous faut opiner au monde à l’envers,
dommage pour le voyage aquarelle
ou daguerréotype
oui les temps changent
***
Soleil chauffe jaune en Prusse,
jeune Werther constant brûlant
suicideur,
toujours là à Elseneur.
L’humeur noire d’Hamlet ? Ratatinée sous cette lumière éclatante ce ciel bleu nu,
(même si Hamlet n’y a jamais mis les pieds,
même s’il n’existe pas comme le prétendent
ceux qui sont sérieux avec la littérature – car pour les autres c’est comme s’il y était !-)
Simplement son vrai papa, un soir outré d’azur comme ça,
nous aurait plutôt saigné une tragédie grecque
s’il avait vu ce château en surplomb sur la mer,
flèches vertes égorgeant sans ambages le ciel d’un jour têtu :
que tonton vous tue votre père et vous épouse votre mère
ça ne passe peut-être pas mieux chez Dionysos voyeur,
mais au moins on n’a pas d’états d’âme on zigouille une bonne fois,
on étripe en invoquant les dieux,
bien énervé et en sueur, et on fait avec ses serpents,
jusqu’à ce que les juges-dieux en choeur et l’auteur qui n’est pas là pour rigoler
vous demandent des comptes sévères
puis vous absolvent.
Mais ce soir-là Hamlet aurait pris l’apéro avec ses potes,
laissant ses morts enterrer leurs morts,
chez le seul limonadier ouvert qui se frotte les mains :
le printemps dernier si vous saviez…sans arrêt sans arrêt c’est tombé horrible consternant
et du doigt il pointe tous les cafés fermés
rit de ses confrères qui n’ont pas cru au retour du printemps
rit de sa fortune d’optimiste qui a survécu à tant d’eau
et peut servir beaucoup de bières.
Les temps changent, il dit,
– oui je sais, je dis.
***
==> dépliez la carte vers le pli n° 2 : https://fragile-revue.fr/la-lettre/meteos-de-lame-carte-a-quatre-plis-2-4/
J’aime beaucoup la laisse 2 avec ses vraies pluies, et l’adjectif vrai dont la matière sonore répétée rend palpable l’épaisseur de l’eau qui tombe. Et à la fin, Hamlet qui prend l’apéro avec ses potes me paraît bien sympathique. 🙂.
Tout à la fin, l’apparition du je est émouvante.
Merci! En fait au fil du poème, ce je est censé faire place de plus en plus à d’autres, mais il ne disparaîtra pas…
J’espère qu’au bout du compte on verra que ce je n’est qu’un prétexte, une route vers les siblings humains. J’emploie à dessein ce mot anglais qui ne genre ni ne psychologise la fraternité humaine
Intéressant ce mélange de descriptif et narratif! On a envie de voir comment ça continue, la première partie est plus accessible d’emblée, plus ancrée dans le sensible, la deuxième me semble plus intellectuelle.
Le mélange des tons, avec la familiarité et un interdiscours très érudit, à voir comment ça évolue.
On zigouiller on étripe
On fait pas d’hamlet
Sans casser les e
..
On zigouiller on atrip
Lugano lac
Mai mai Paris mai
Partir au moins rock star
Constant
Un soir noir
Azur azur
Tout azimut
Un mutant
Ça fait pas un pli
On zigou
Suis épatée comment tout texte t’est prétexte, JJD, ta ruche intérieure fait miel et autres confitures des poèmes posés devant toi comme fruits de saisons ; il passe mais tu as ton bocal pour l’hiver…/
Un fol tourbillon jailli au prétexte d’une pluie mineure, nous mène vers d’autres horizons, embarquant avec lui quelques figures symbolique et exhibant une gouaille insolente. Du Laure Anne, virtuose en lettres et sonorités.
Les virtuoses ont aussi besoin de musique, espérons que par delà l’écriture et le symbole, quelque chose de nous à travers le poème parvienne à chanter.
Symboliques!
Mais bien sûr que la mélodie a sa réception même si l’écoute demande une belle attention du fait de sa complexité, de sa richesse de gammes.
Merci de cette consolation!