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II

Puis sur la Suède enfin qui n’en revient pas,
toujours là le soleil tout mai et juin encore.

La pluie là-bas
invisible
ce sont les gens qui l’évoquent
avec un demi-mot un regard qui devient étanche comme une fenêtre à triple vitrage,

un sourire qui se rétracte
rien que d’y penser, à ces longues pluies
aux gueules de goules
qu’ailleurs on rêve ô exotiques ô poétiques ô fertiles
et qui ici longs voiles de deuil
encore et encore au long de la route et des rues font de chaque trajet un cortège funèbre,
une ascèse de la volonté,
un credo de survie,
je les en crois à leurs motus soudains
et à leurs ruées féroces vers le dehors,
ce mai.

Bien sûr il y a presque toujours un petit vent de mer
les matins les soirs et l’ombre,
un petit memento mori :
ce beau printemps-là
chez nous on ne l’appellerait pas l’été – qui implique une grande franchise continûment chaude
qui fait couler les pêches avant l’approche des dents
qui nous remplit la bouche de sucré salé devant le rouge enflé d’une tomate.
D’ailleurs là-bas la lumière est un rien plus diffractée,
avec ce jour si limpide à quatre heures du matin qui cligne à peine des paupières à neuf heures du soir,
et reste une lumière raisonnable comme ses adultes tôt couchés tôt levés
(leur ascèse comme résistance de roseaux).

Soleil zélé Saint-Jean rêvée des indigènes
le solstice chez nous
c’est quand le calendrier donne tout juste la permission à l’été de commencer à avoir un nom,
à Stockholm calendrier ou pas soleil ou pas c’est l’été un point c’est tout
et même midsommar, son beau milieu,
son cœur saturnal
on sort les jambes les dos et les tenues nues,
l’eau de vie pour fêter ça :
cette année la pièce soleil joue pour de vrai on n’a pas l’air déguisé.

Mais ils savent lire les cartes météo : les temps changent.

***

Imaginez pourtant
sous un ciel bas sous l’infini de la pluie
tous ces tilleuls en bourgeons toutes ces grappes blanches sur les robiniers toutes ces routes pastellisées de lupins tous ces verts d’arbres les rhododendrons en folie
fanés tout vifs par le gris,
gouache lavée ou pastel passé :
pas vrai, pas cette année
plus jamais ?

Là c ‘est un beau temps de cinéma, mais candide
un éden sans poussière sans caillasse biblique buvant la lumière au-delà de la soif
qui sous ce soleil sûr de lui va de soi,
dans les parcs des villes,
les bords de route,
les forêts en folie,
les jardins des maisons bien peintes les lilas archi-lilas les cytises jaune pétard les gloussements des glycines
sont les seules pluies du moment.
Dégringolades giclées d’odeurs qui rincent le nez,
ça pleut de partout, en rideaux en tentures même, toutes ces choses colorées
drues qui débordent, frénésie épaisse des buissons comme fardés au rouge baiser :
foin de manières,
ces pluies végétales activent le bleu du ciel le clair de la mer et des lacs
tournent leur mercure en moires.

Un effort appliqué de logique nous montre l’humide sous toutes ses formes qui des mois durant a inséminé tout ça,
cet hiver long de routes grises,
puis passées au noir et blanc puis floutées au fusain des arbres, lessive pâle
délavant usant les âmes …

ça (un souvenir ) :
février
que ça finisse vite, espéraient les bougies aux fenêtres et partout :
les quelques kilomètres séparant Stockholm sous la neige de l’aéroport
au tout petit matin photo trop brillante pour l’asphalte détrempé trop mate pour les arbres fantôme image flottante de la terre incertaine dans la neige molle et pas blanche, partout le gris des étangs, si près des villes le tonus de la neige qui s’empare du terrain, la pluie se cache dans la neige elle tient le terrain

c’est beau comme une morte amoureuse et ça nous boit le sang –

de tels hivers
coûtent aux corps autant qu’aux suds la chienne de chaleur d’août
exigent labeurs entêtés ( car c’est pire si
maison mal repeinte moisie
gadoue dans les vestibules
neige aux portes et glace aux vitres )
travail avant
le travail
après.
Car laisser les éléments prendre le dessus
non
résistance survie intégrée dans les gènes
garde des nerfs et de la tête
suicide sinon
sous l’incolore froidure
ou vin et bière et plus et sans goût tous spiritueux sous contrôle d’état
quarante-cinq degrés de chaleur interne
oubli hors de prix pour atrabilaires,

temps sempiternel des films décolorés.

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Laure-Anne Fillias-Bensussan

Déracinée-enracinée à Marseille, Europe, j'ai un parcours très-très-académique puis très-très-expérimental en linguistique, stylistique, langues anciennes, théâtre, chant, analyse des arts plastiques, et écriture. Sévèrement atteinte de dilettantisme depuis longtemps, j'espère, loin de l'exposition de l'unanimisme des groupes de réseaux, continuer à explorer longtemps la vie réelle et la langue, les langues. Reste que je suis constante dans le désir de partager, écouter, transmettre un peu de l'humain incarné au monde par l'écriture ; la mienne, je ne la veux ni arme militante, ni exercice de consolation, mais mise en évidence de fratersororité. J'ai publié deux recueils de poèmes, écrit une adaptation théâtrale, participé à la rédaction de nombreux Cahiers de l'Artothèque Antonin Artaud pour des monographies d'artistes contemporains ; je collabore aussi avec la revue d'écritures Filigranes. - En cours : deux projets de recueils de courtes fictions, et d'un recueil de poèmes.

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