On me demande ce que je pense, quand je préfère imiter ce que tu dis
ta langue, ma langue ; tes pensées jusqu’à mes mots
J’en oublie parfois qu’un cyclamen est pour toi une autre fleur
née au creux d’un parterre d’épines
Κυκλάμινο, chargé de brume il perdrait tout son sens
Alors je me calque sur toi comme je superpose leurs pétales
jusqu’à tout perdre
pour un instant
[brèches]
mon corps ouvert et moi gambadons
nous traversons à gué les ruisseaux de tristesse
le bas de ma robe est mouillé jusqu’aux genoux
peut-être que l’eau de tristesse nettoie la plaie de mon corps ouvert, le donne à voir plus clairement
mon corps ouvert est allongé dans l’herbe
si vous aimez le rouge, le blanc, le jaune, si vous aimez le mouvement, ce qui bat et qui se tend, venez voir mon corps ouvert
je ris, mes intestins rient, se soulèvent et suivent un chemin
ils sont propres et lisses – n’ouvrez pas davantage – regardez ma plèvre comme elle glisse, des feuillets sur lesquels sont inscrits chaque respiration et chaque soupir
chaque transe, chaque effort
mon corps ouvert et moi, offerts à vous, offerts au vent, mais peut-être pas seulement
il y a tant de chemins et tant de creux que j’ai ignorés savamment ; tas de poussière repoussés sous les chaises de maisons grouillant d’habitants
en réalité, c’est à moi qu’il revient de fouiller
on ignore ce qui pourrait jaillir, du sang noir ou des pierres rugueuses, une nappe nauséabonde ou un cri capricieux
je ne veux pas vous faire peur
j’ai trop besoin de vous, du toucher de vos yeux et de vos doigts, de l’onde de vos voix
attendez
je retourne au ruisseau
assise sur la berge, prête à déverser dans le flot qui se frotte aux rochers tout ce que jusqu’à ce jour je n’ai pas su observer
—
ces choses que je n’ai pas sues restent à la surface
elles entrent en résonnance avec la surface
elles font vibrer la surface
les particules se divisent et s’amoncèlent en étranges motifs
se rejoignent en rosaces
trop chargées sans doute on se fatigue
à me regarder
—
je me détourne de la roche
des surfaces dures celles dont les marques sont
indélébiles
je me penche sur l’eau sur les reflets de lumière
je me penche sur tout ce qui se traverse
je n’ai pas peur de mon reflet déformé à la surface, j’ai peur de tomber plus bas encore
de ne pas pouvoir
respirer
l’eau se referme après notre passage, retrouve sa placidité de miroir
et nous nous retirons, portant en nous ses traces :
l’eau mousse dans nos cheveux, perle sur nos cils, assèche nos pores
tandis qu’au fond de l’eau, restent les grains de notre peau, nos messagers
un dépôt millénaire
une couronne d’algue et de cheveux