Momo veut un chocolat chaud
il ne me regarde jamais dans les yeux
je lui demande combien de cuillères de sucre
il me répond deux en fixant droit devant lui
jamais je n’ai croisé son regard
jamais ses pupilles ne se sont plantées dans les miennes
je me demande si c’est parce que je suis une femme
ou s’il le fait par honte
respecter les ordres, donner ce qui est demandé
donner, donner, donner
sans merci ni s’il vous plaît
donner, donner, donner
comme un chien qui ne sait pas aboyer
je pense à sa blessure, d’où elle vient
je me dis qu’en fin de compte
c’est lui qui est tenu en laisse par la vie
c’est lui ce chien qui ne sait pas aboyer
je lui tends sa boisson chaude, sucrée
et je passe à la personne suivante
Donner, donner, donner
quand une personne la vie une rencontre
me vide
le lundi, pas de distribution je reste à la maison
comment puis-je
donner, donner, donner si j’ai été vidée ?
Olivier vient tous les lundis
rigoureux comme une horloge suisse
gavroche et cigarette au bec
il prend toujours à boire et à manger pour deux
puis, une fois servi
je vois qu’il va s’asseoir sur la petite colline
juste devant le stand
seul
il pose les deux assiettes et les deux verres par terre
il mange et boit
à côté de lui l’autre assiette et l’autre verre
je sers distraitement d’autres cafés
à d’autres sans abri plus calmes
tandis que je l’observe :
il marmonne quelque chose
à un fantôme assis à côté de lui
un fantôme à qui il a servi à boire et à manger
nos regards se croisent un instant
et je me reconcentre sur la queue des gens
des gens qui n’ont pas encore été servis
des ombres courbées comme des invités au baptême
des absences à faire peur
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(Photo Evgeniy Grozev, Pexels)