La distribution commence toujours à vingt heures
mais on doit arriver plus tôt
monter les supports en acier
préparer la nourriture, les boissons, déballer les cartons, ranger le contenu
placer les sacs poubelles, tester le lait chaud, rompre les baguettes
je reste toujours au stand des boissons
je raffole de l’odeur du café
avant de commencer la distribution
on met en place le sucre, les gobelets en carton, les cuillères en bois, les serviettes
les friandises qu’on donne avec les boissons
et les briques de lait
avec mes collègues, on s’amuse à constater
que parfois le siège ne semble pas savoir
à qui nous avons affaire
au lieu du lait normal
nous ne recevons parfois que du lait d’avoine
comme si on servait des jeunes bobos parisiens genre école de commerce
plutôt que des sans-abri
on me demande parfois ce qu’est le lait d’avoine
Une boisson végétale, sans lactose et sans dérivé animal
je les vois hocher la tête mais c’est comme si je parlais chinois
d’autres haussent les épaules et demandent du thé
quand le lait de chèvre remplace le lait normal
la réaction est différente :
il s’agit plus de dégoût que d’incompréhension
une fois de plus
je me demande comment un lait aussi acide peut être utilisé
pour un chocolat chaud
il semble presque une insulte, une moquerie à leur condition
Vingt et une heure
c’est bon pour ce lundi
tous les bénévoles vont boire une bière à côté
moi, je suis crevée
mais j’y vais quand même :
les verres à la main
le papotage stérile
une musique dance très forte
on les aperçoit
de l’autre côté de la vitre
on les aperçoit
dévorer des gâteaux
se bagarrer pour une aumône pas partagée
comme d’habitude
avec pathos et nostalgie
Olivier parle tout seul
à la femme qu’il a perdu