J’ai lu presque siècle du poète Stéphane Lambion paru en juillet 2022, co-édité par les éditions de La Crypte et les éditions Henry.
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Cher poète,
J’ai lu ton presque siècle. Je lui trouve une dimension magique ou chamanique. Le conteur (toi? le récit est à la première personne) part pour raconter la mort de sa grand-mère, il l’accompagne en quelque sorte dans son passage dans l’au-delà, mais finalement, c’est la sienne qu’il nous rapporte, la grand-mère passera plus tard. On passe ainsi de « tu tardes trop déjà » à « ne te presse pas ».
Un des enjeux de cette fiction est là, me semble-t-il : construire un récit qui déjoue et conjure la mort. L’entreprise est apparemment réussie, puisque finalement la mort ne détruit pas mais guérit. On débute par « je l’ai vue / boiter » pour finir par « j’ai même, sais-tu, / cessé de boiter ».
La séparation des parties par des points sur pages blanches est réussie. On entre dans la première par une page blanche, elle ne comprend qu’un point, un point final pour ainsi dire : tout est dit, c’est un silence définitif, sépulcral. On sort à travers une troisième partie, dans laquelle on pénètre par une page blanche avec trois points, des points de suspension : ce n’est donc pas fini, il y a encore à dire, à vivre. A sa manière, ce jeu de points déjoue la mort.
Dans la première partie, le conteur endosse en quelque sorte le rôle de la mort, il joue une mort affectueuse et charmeuse, pointilleuse aussi (voir le déjà dans déjà trop), c’est la Mort tout de même. Ensuite, il fait le mort, c’est un autre rôle, et à présent il peut se montrer moins rigoureux (ne te presse pas). Dans les deux cas, le conteur-acteur joue un rôle, il continue de faire entendre sa parole, de la faire vivre et de vivre lui-même. En personnifiant et interprétant la mort, en lui prêtant sa voix, il la rend vivante et contraire à elle-même, et ce faisant il l’annule.
Cher conteur, dans ce texte, tu joues la Mort et tu t’en joues, et cela rassure.
Pierre
