de quelques hommes…
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… et d’une bête
– ils riaient, enfermés et joyeux. sa première pensée fut qu’il ne s’était pas attendu à cela. sa seconde, qu’il ne s’était attendu à rien. il venait proposer à ces hommes, derrière les hauts murs, d’écrire. comme il le disait à tous et à chaque fois, aux enfants des collèges comme aux adultes des bibliothèques, il n’était qu’un prétexte et n’avait rien à enseigner à personne. lui, écrire l’aidait, le stimulait, le rendait, la plupart du temps, heureux. c’était simple, et cela l’avait mené par-delà les hauts murs, à la rencontre des punis, des perdus pour tous, des fautifs. et il avait trouvé des sourires, sur toutes les bouches, des volontés de créer et de comprendre. de se comprendre et de comprendre le monde. il n’avait pas voulu connaître les raisons de leur présence ici. il les avait connu. parce que dire ce que l’on a fait, sans doute n’est-ce pas dire qui l’on est, ou pas tout ce que l’on est. ils étaient aussi les sourires, et les désirs d’exprimer joies et frustrations, sentiments d’injustice parfois, remords aussi. un jour il était sorti différent de l’ombre des hauts murs. il avançait d’un pas plus lourd, comme charriant un secret qui n’en était pas un, ou un crime qui n’était pas le sien, ou un mystère nouveau, plutôt, devant la complexité des hommes, des femmes, et du monde. ils sont rares les lieux où un homme avec qui l’on partage mots et rires depuis plusieurs semaines peut nous apprendre au détour d’une phrase qu’il est un meurtrier. « mais ils existent », s’était-il dit en revenant vers sa voiture. « existe son crime odieux. existe son rire généreux. existe ma tristesse et mon trouble de les connaître comme ne faisant qu’un. » il retournait vers sa vie plus lourd, véritablement. plus léger d’une once de candeur, peut-être. grandi, malgré tout, de vie et du partage. car celui-ci, aussi, existe. –
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– mais la bête n’attendait à la porte que pour s’élancer, cette dernière une fois ouverte, vers la gamelle, sans un regard pour lui ou pour l’enfant. et chaque jour, et plusieurs fois par jours, les mouvements se répétaient. elle entrait, fonçait sur l’auge, la trouvait vide, se tournait vers lui, miaulait ou feulait selon l’humeur, le degré de la faim, le temps dehors peut-être ou l’envie d’intimider ou d’amadouer, attendait que la nourriture arrive en miracle, mangeait. lui, dans l’enfance et après, dans la pension toulousaine ou dans les studios exiguës de la capitale, n’avait jamais eu à se préoccuper d’animaux de compagnie. enfant il avait peut-être souhaité un chien, mais le souhait, s’il avait existé, était resté muet, comme la plupart de ses désirs et à son habitude, demeurée à l’âge adulte et comprise comme maladive par ceux qui aujourd’hui l’entouraient, de n’exiger ou même de ne demander rien. la bête qui là devant lui mangeait, était comprise avec la vieille maison qui était devenue la sienne et celle de ses amours, et il découvrait depuis cet étrange compagnonnage fait de réclamations sempiternelles, de regards hautains, de réprimandes et de craintes dénuées de toute logique qu’il aurait pu faire sienne, de nonchalance, enfin de dons répétés, sans jamais aucun contre-don. et alors que la bête s’approchait de la méridienne, passait devant le poêle braiseux en ronronnant, satisfaite de n’avoir rien accomplit au jour que dormir et manger aux dépens de tous et de tout, alors qu’elle sautait lestement sur le coussin et s’installait pour un nouveau tour de sommeil sans vergogne, l’homme, qui la regardait incrédule, se surprit à se demander ce que Marcel Mauss avait pu penser des chats.-
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© photo henry&co, pexels, 2023