Vacance
Cheyne éditeur
2022
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Je peux dire que j’ai beaucoup travaillé dessus c’est vrai, oui, mh, tout à fait, bien sûr, pourquoi je ne sais pas, sûrement parce qu’il y a encore maman et papa que j’aime et que je veux les impressionner dans mon travail, je veux qu’iels voient que je travaille et que ça me fait du bien avant de partir, je sais qu’iels regardent, je m’applique.
Il y a quatre parties dans le livre, ces parties se suivent mais on peut lire comme on veut, bref, il y a d’abord moi, puis toi, un autre corps à la rencontre du mien, nous faisons l’amour, puis quelque chose s’annule, se termine ou se contraint à cause de maman peut-être ou de la société qui est méchante ou le climat, en écrivant là maintenant je pense que c’est le climat plutôt.
J’aime qu’on comprenne, ce n’est pas forcément très élaboré mais c’est lisible ça j’en suis convaincu, il y a un début et une fin voilà, donc : imagine, on est sur une plage, entre Sète et la Camargue, où on tombe amoureux.se de tout le monde parce qu’il fait chaud et que les gens sont beaux quand ils prennent du plaisir et mangent et courent et crient. Malheureusement les gens sont beaux dans des lieux souvent dégueulasses dont ils sont responsables aussi, je parle des lieux sales, où il y a des cailloux qui piquent, du verre, des choses fondues par terre (et je ne dis pas que je ne jette pas des choses moi aussi, j’ai même sûrement contribué à l’immense poubelle) et des bêtes qui perdent au grand jeu de la vie.
J’ai souvenir d’une raie qui se baladait entre les gens à Canet-en-Roussillon, et les gens criaient : regardez il y a une raie, aaaaaaaaaa une raie, vite une raie, les gens couraient autour de la raie et ils l’encerclaient pour la prendre dans les bras, mais la raie était furieuse, elle mordait ou piquait, elle voulait tuer tout le monde. Et à côté un homme avait baissé son maillot pour attraper la raie dedans, dans le filet blanc du maillot.
Bref, après l’été il y a l’automne, la mer se vide, les gens partent en voiture, il n’y a plus que les cailloux et les poubelles, les choses fondues, les traces humaines volontairement dégoûtantes et les restes de méduse ou de poisson au mercure, alors on rentre à la maison et comme c’était court on est frustré.e. Donc après l’été, après avoir tout vu, on rentre à la maison et on attend que ça empire. C’est un livre qui est quand même un peu triste à la fin.
Je crois que j’ai essayé de faire ça mais je ne suis pas sûr, on pourrait aussi dire que l’été est trop long, et que, comme on s’ennuie, on se permet de trouver beau des corps qui ne le sont pas. Hélas je n’ai le monopole de rien. Mais la plage l’hiver c’est quand même très triste et ça ne sert à rien d’y aller l’hiver, sauf pour se donner un genre mélancolique et différent, du type moi je suis différent des moutons de l’été parce que moi je vais à la plage en hiver, hahaha bien fait les moutons, je ne suis pas comme les autres, eh bien moi je proteste contre ça. J’avais la chance d’aller à la plage voir les gens et les aimer de loin, de partager avec les gens un lieu certes laid et impropre mais j’y étais aussi, j’étais fautif, j’étais le même mouton que les autres, je mangeais les mêmes beignets loulou au nutella et je prenais autant de plaisir, je n’y peux rien.
Mais en tout cas il y a un constat à la fin que ça ne dure pas, oui, que l’été meurt dans les poubelles et dans le froid, alors il y a la masturbation pour compenser le manque, mais la maman n’est pas loin et elle contrôle, je dois être discret. Et ça je le comprends très bien par contre oui, je veux me donner l’impression que ça recommence dans mon bain l’hiver.
Je vois toutes ces choses qui me font plaisir ou peur, tout est mêlé, il y en a trop alors je les mets toutes, et je les coupe au moment exact où il ne faut pas qu’elles se coupent, à la seconde où l’orgasme allait venir, c’est le principe de la frustration. Je me permets de parler de tout ce que je vois parce que ça déborde, mais je ne laisse pas déborder suffisamment, je maintiens, sauf quand je fais une lecture publique. Et ça me fait très peur de lire ce texte à voix haute, aussi ai-je fait en sorte que ce soit rare.
Et ça c’est ce que j’aime, que ça se laisse aller mais que ça tente aussi de se tenir un peu, pour accroître le plaisir. Et comme la sexualité je voulais que ce livre soit quelque chose de diffus, qui serait à la fois linéaire, parce qu’il y a un début et une fin, et à la fois très flou, qui avance, recule, s’arrête, qui se termine n’importe quand, qui surprend, ainsi je suggère de lire de façon linéaire, ou une page sur deux, mais en commençant où les gens veulent.
Et ce qui me fait peur en revanche, c’est que tout ça ce n’est que du jonglage, en réalité mon corps n’est pas autant vivant, ce n’est pas toute ma vie aussi fort. Il y a tout autour de moi des corps plus forts, plus vivants que moi, et comme j’ai dit ça déborde, je ne peux pas contenir tout ça, je ne peux pas garder tout ça pour moi, c’est impossible. Là-dedans je me débats mais je ne sais pas combien de temps ça va durer. Comme j’ai dit à un ami il y a peu je me débats et je viens faire chier le monde avec des poèmes pour qu’on me voie et me donner l’air intéressant, j’avais même dit vital mais en disant ça il n’y a rien, je fais semblant d’être spirituel. En vérité j’avais peur que la plage se laisse ensevelir sous les poubelles, et j’avais peur de déménager loin, je me suis dit aussi que j’aimais l’idée que mon corps était trop petit pour moi. Alors pour faire un équilibre le prochain livre parlera du sport.
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Victor Malzac
Vacance