Le ps 150 est le dernier du recueil, venant clore la série de 5 psaumes dite Grand Hallel. Si l’on devait n’en lire qu’un, ce serait celui-ci, car il présente l’essence-même du psaume, sans autre propos que la louange, pure et simple. Simple mais pas uniforme, car il fait entendre la polyphonie des trois familles d’instruments (cordes, vents, percussions) que l’anaphore louez-le appelle à se combiner, chacun selon son style.
1 Louez Yah ! Louez El dans sa sainteté, louez-le dans le firmament de sa force !
2 Louez-le dans ses puissances, louez-le selon son immensité !
3 Louez-le aux impulsions du chofar, louez-le avec la harpe et la lyre !
4 Louez-le avec le tambourin et la danse, louez-le avec la cithare et la flûte.
5 Louez-le avec les cymbales résonnantes, louez-le avec les cymbales éclatantes.
6 Que l’âme lumineuse tout entière loue Yah !
Pas simple du tout la question des noms divins qui apparaissent, Yah, El, assortis en prime de mots lourds, sainteté, puissance … Il va bien falloir regarder tout ça d’un peu près. Mais avant allons à l’essentiel, le plaisir de la musique et le jeu des instruments.
À tout seigneur tout honneur, d’abord ceux qui sont les attributs typiques de David dans l’iconographie, les instruments par excellence de ces chants des admirations. La harpe (nével) se jouait avec les doigts, la lyre ou luth (kinnor) avec un plectre. Sur le corps de l’instrument le réseau des cordes vibre, transmettant des ondes de sensations et sentiments au corps (et cœur) humain. Analogie qui fonde la magie émotionnelle de la poésie dite lyrique.
Lyre de David consolant le roi Saül dans son humeur sombre, lyre d’Apollon le dieu et d’Orphée le magicien, oud nostalgique, jusqu’au while my guitar gently wheeps des Beatles. Bref ces instruments sont ceux de la louange des poètes, des mélancoliques, des amoureux. Poète prends ton luth et me donne un baiser ! (dit Musset dans ses Nuits à lui).
Les percussions, modalité rythmique profonde, chantent un chant viscéral, battent la mesure du battement élémentaire de la vie-même. Une énergie vitale qui s’exprime aussi dans la danse associée au tambourin (v.4) : ce qui évoque bien sûr les transes rituelles, les corps qui scandent des gospels, les délires des Bacchantes, les derviches tourneurs. Tous moments d’extase, aux confins entre une extrême présence au corps et son oubli.
Dans le même verset le chant passe à des instruments aux connotations inverses. Quoi de plus limpide, éthéré, que les notes de la cithare ou de la flûte ? Le tambour fait éclater l’être, le fait irradier dans un mouvement centrifuge. Cithare et flûte au contraire le recentrent, dans une intériorisation au climat tout nocturne, dans un chant méditatif au bord du silence, et dont il semble n’être qu’une modulation.
L’association de l’épaisseur charnelle des percussions à ces instruments dont le son a quelque chose d’immatériel compose une partition jouant sur un dynamisme de bipolarité, comme la calligraphie joue sur la combinaison des pleins et des déliés. Voilà qui évoque la si belle phrase de Montaigne :
« Notre vie est composée, comme l’harmonie du monde, de choses contraires, aussi de divers tons, doux et âpres, aigus et plats, mols et graves. Le musicien qui n’en aimerait que les uns, que voudrait-il dire ? » (Essais III,13)
Et puis il y a le chofar, trompe façonnée dans la corne d’un bélier. Il résonne pour marquer le début du sabbat. C’est à travers l’harmonie de la communauté rassemblée que le psaume ouvre à une harmonie existentielle, symbolisée par la polyphonie des instruments. Que l’on soit tambour ou flûte, luth, cymbales ou cor, chacun chante à sa place, mais comme dans un même souffle. Le souffle lumineux qui chante le dernier verset.
Reste précisément la question du destinataire du chant : Yah, qui est-ce ?
Dans les psaumes on trouve les trois noms donnés au divin dans la Bible : El (Eloha, Elohim), Adonaï, et YHWH parfois abrégé en Yah ou Yahou.
El est un terme sémitique, commun à plusieurs traditions (même racine que Allah), attribuant au divin une puissance (mot qu’on sera bien sûr amené à interroger). Le ps 150 déploie ces connotations du nom El : firmament de force, puissances, immensité (v.1-2) André Chouraqui (traducteur de la Bible) ajoute que ce nom désigne aussi celui vers qui on se tourne, à qui on aspire, el étant la préposition « vers, pour, dans la direction de ».
Souvent dans les psaumes on trouve le pluriel, Elohim. Le monothéisme de l’ancien Israël s’établit sur fond de polythéisme, sans le détruire tout à fait (cf 1). Faut-il voir en ce pluriel un archaïsme ? Pas sûr : le maintien dans la lettre de plusieurs faces divines permet d’échapper à la pente fatale du monothéisme : la perversion du religieux en totalitarisme. (Ce pluriel a aussi d’autres significations symboliques bien sûr).
Adonaï signifie mon maître. Traduit en grec dans la Septante par kyrios, c’est notre mot seigneur, devenu finalement dans la vie courante monsieur. C’est un terme de respect, de déférence, et aussi un terme d’adresse. Adonaï est le dieu en tant que répondant de l’homme, que l’on prie, que l’on invoque, ou tout simplement à qui l’on parle.
Le tétragramme YHWH (yod hé waw hé) est peut être plus énigmatique (à moins qu’il ne soit trop simple). Moïse au buisson ardent demande à la voix (qui lui enjoint d’aller au secours de son peuple esclave en Égypte) de quel nom il doit la nommer, en quel nom il doit parler. « Je suis/serai qui je suis/serai »* est la réponse.
La voix poursuit : « tu diras au peuple Je suis/je serai m’a envoyé vers vous » (Exode 3,14). Ce texte a été amplement commenté (sans livrer de dernier mot) (bon signe).
Remarquons simplement qu’en nommant « YHWH » le locuteur pose dans le même mouvement sa propre identité. Autrement dit cette nomination a pour effet (si les mots ont un sens) de dissoudre la limite immanence/transcendance.
Ce que va nous confirmer le texte suivant.
*Traduction qui ne peut rester qu’approximative, puisque le système des temps en hébreu ne correspond pas au nôtre. Il est fondé sur le paradigme accompli/inaccompli. Le temps employé par la voix pour se nommer est l’inaccompli.
Image par Gordon Johnson de Pixabay
Quand on écoute une flûte faite d’une matière ligneuse (roseau, bambou), on perçoit une certaine matérialité du souffle : son frottement sur les parois de l’instrument. Si délié soit-il, le son présente une certaine rugosité.
Pour le tambour, les sons qu’on lui fait émettre viennent frapper à notre oreille : ainsi les coups qu’il a reçus touchent ensuite notre tympan. Notre oreille est en quelque sorte un tambour miniature.
Oui la rugosité du son de certaines flûtes, qui met en évidence la matérialité du souffle. ça m’évoque l’exercice de respiration où l’on observe le passage de l’air en mettant « un frein au niveau de sa gorge » (ainsi que le formulait ma prof de yoga).
Le tympan « tambour miniature » et j’ajoute intégré, qui nous fait vibrer à tous les bruits du monde : non seulement c’est très juste, mais ta remarque m’amène du coup à me demander si ce n’est pas la métaphore initiatrice de ce poème …
Plus généralement dans la musique surtout qd pas en boîte il n’y a pas de solution de continuité entre le corps de l’instrumentiste l’instrument et les corps des auditeurs et ainsi vient la danse…même ces terribles musiques électroniques adorciques très fortes vous attrapent par les pieds et prennent le pas sur les battements de votre cœur et ça peut être très violent aussi…
Il y a beaucoup à penser sur l’inaccompli de YHVH ! Où s’accomplit-il sinon dans l’ici et maintenant périssable et quasi de l’humain qui s’approprie un «je » partagé avec les d’autres, « je » separé (où l’on rejoint le naï ) et partie à et des autres « je »et de « el », ce « vers » que je découvre m force centrifuge ( et du coup les cymbales ) …mamma mia merci Ariane, du nanan!