« L’homme du commun qui aime pratiquer la vertu et faire le bien est un dignitaire sans charge. Le mandarin qui cherche à obtenir des prérogatives et achète des faveurs est un mendiant sur un trône. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,93)
L’homme du commun n’a pas assez de pouvoir pour que sa pratique de la vertu ait une incidence importante sur le corps social. Il risque alors d’éprouver du ressentiment envers les dignitaires moins vertueux que lui mais possédant du pouvoir.
Quel est ici l’implicite, le conseil subliminal prodigué au lecteur du commun ? (En supposant qu’il sache lire, d’accord). (Et à l’époque d’Hong rien n’est moins sûr, re-d’accord). (Mais bon, ceci est une lecture d’actualisation).
Bref quel conseil ?
Continuer sa pratique vertueuse sans rien en attendre socialement, s’évitant ainsi le ressentiment ? Y renoncer carrément puisque c’est de l’énergie perdue ? Ou alors convertir son ressentiment en action ?
Oui mais quel type d’action ? Violence d’une révolte enrageant de sa stérilité ? Travail réellement politique de modification d’un fétichisme de la hiérarchie qui prive le corps social de l’apport de tant de ses membres ?
Entre nous ça m’étonnerait qu’Hong ait en tête une incitation à la réforme des structures sociales. Il ne voit pas pourquoi le mandarin renoncerait à sa position. En revanche, la seconde phrase l’exhorte à la mériter par sa probité. Un conseil qui s’inscrit dans le cadre d’une morale aristocratique, de toute évidence celle de Hong.
Dans la classification de Rousseau, la démocratie élective est une forme d’aristocratie.
« Il y a trois sortes d’Aristocratie ; naturelle, élective, héréditaire. La première ne convient qu’à des peuples simples ; la troisième est le pire de tous les Gouvernements. Le deuxième est le meilleur : c’est l’Aristocratie proprement dite. » (Du Contrat social III, 5 De l’Aristocratie)
La lecteur-trice voit où je veux en venir. Les turbulences qui atteignent nos sociétés sont dues pour une part non négligeable à la perception de plus en plus crue de l’insuffisance éthique des élus. Mais il serait naïf de croire qu’elles ont toutes pour origine une vertu.
Et nombre de ceux qui se voudraient mandarins à la place des mandarins, sitôt à cette place, tomberaient dans les mêmes travers. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire, et ne pas tendre à améliorer le fonctionnement démocratique. En commençant, là est l’urgence, par les conditions du débat et de la délibération.*
Tout en gardant à l’esprit, de Rousseau encore, cette remarque, que l’on pourra juger pessimiste ou pragmatique selon les goûts :
« À prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. » (DCS III,4 De la Démocratie)
*Sur ces questions voir entre autres
Le Siècle du populisme (Pierre Rosanvallon Seuil 2020)
Apocalypse cognitive (Gérald Bronner PUF 2021)
Le règne de l’individu tyran (Eric Sadin Grasset 2020)
Le populisme au secours de la démocratie ? (Chloé Morin Gallimard le Débat 2021)
Image congerdesign (pixabay)
Evidemment il y a cette lecture socio-politique de la phrase potagère. Mais c’est drôle, je l’ai lue quant à moi, sans doute indûment sous cette plume-là, comme quelque chose de quasi évangélique, une version des premiers qui sont les derniers, car la pratique du bien revêt de dignité, et ne se plaint pas de se passer de charge, tandis que la mandarin brigueur est mis à nu dans sa misère d’insatisfait et d’avide…
Et qui sait ce que le vertueux peut semer dans son monde sans être investi de pompe ?
Du coup, pour une fois, Hong me semblait assez sympathique…
Question hors sujet, ou peut-être pas : Le titre du recueil d’aphorismes me reste assez mystérieux : était-ce un truc pour ne pas se faire choper par la censure ou le fil de la hache des puissants?
Je pense que les interprétations éthico-spirituelle et politique ne sont pas contradictoires, elles peuvent au contraire se répondre avec profit pour tout un chacun. Après faut juste le faire, du haut en bas, et du bas en haut, de la société.
Quant au titre du recueil, je me suis posé la question aussi, et n’ai pas trouvé de réponse. Il doit y avoir un allusion, peut être un jeu de mot que, malgré ma parfaite maîtrise du mandarin, je ne décode pas … Pour moi je vois cette racine plutôt comme un ensemble de radicelles qui vont chercher, où elles peuvent, en explorant toutes les directions, la nourriture qui fera vivre le légume.