Glosant Le Bon (selon son terme), Freud (Psychologie des foules et analyse du moi chap2 La peinture de l’âme des foules par Le Bon) revient à sa suite sur trois caractères de l’individu qui seraient de nouvelles propriétés conférées par sa mise en foule (ou sa prise par la foule, je ne sais comment dire).
Profitant de l’anonymat de la foule, l’individu noyé dans la masse (comme on dit bien), se sent dédouané de toute responsabilité personnelle, et s’autorise à « céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. » Freud en profite pour préciser en note la plus-value qu’il pense apporter à la réflexion de Le Bon.
« Son concept d’inconscient ne coïncide pas totalement avec celui adopté par la psychanalyse. Il inclut avant tout les caractères les plus profonds de l’âme de la race, laquelle à vrai dire n’entre pas en ligne de compte pour la psychanalyse individuelle. (…) Le concept de refoulé manque chez Le Bon. »
Je souligne ce passage car il marque bien la différence entre la psychanalyse freudienne et toute autre psychologie des profondeurs (à commencer par le jungisme) (il est certain que Freud y songe en écrivant ce texte et tient une fois de plus à tacler son ex-disciple). Le concept de refoulé individuel est essentiel pour lui. Il signe la dynamique conflictuelle de la personnalité (cf 1/14 à propos de Le moi et le ça), et son inscription dans la linéarité d’une histoire précise, unique.
En d’autres termes ce n’est pas l’être humain en soi qui est l’objet de ses interrogations, mais la manière dont chacun(e), dans le cours de sa vie, se débrouille avec son humanité.
Outre l’irresponsabilité, on remarque chez les individus mis en foule (tiens, je vais dire enfoulés) la contagion mentale, découlant d’une forte suggestibilité.
Voilà qui amène le rapprochement entre réseaux sociaux et foule ainsi définie : viralité d’une vidéo, d’un tweet, facilité à croire une rumeur (rapprochement qui est l’une des motivations, on s’en doutait, de ma relecture de ce texte).
Ce sont ces éléments conjugués qui donnent à la foule une irrésistible impétuosité vers l’accomplissement de certains actes. Des actes qui sont du genre à faire descendre à l’homme plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation.
(Qu’en termes galants ces choses-là sont mises, non ?)
image par David Mark (Pixabay)
Intéressant rapprochement en effet, et qui s’impose… je suis curieuse de savoir comment Herr Sigmund articule son propos d’incarnation de l’humanité dans les conflits de la psyché individuelle, et cette contagion mimétique qui semble recréer un ça de masse et dépouiller l’individu de ses propres clivages…