« n°306. Stoïciens et épicuriens.
L’épicurien recherche la situation, les personnes et même les événements qui correspondent à sa disposition intellectuelle extrêmement excitable, il renonce au reste – c’est à dire à la plupart des choses –, parce que ce serait pour lui une nourriture trop forte et trop lourde. Le stoïcien au contraire s’entraîne à avaler pierres et vermine, éclats de verre et scorpions et à ne pas éprouver de dégoût ; son estomac doit finir par devenir indifférent à tout ce que le hasard de l’existence déverse en lui (…), il apprécie d’avoir un public d’invités qui assistent au spectacle de son insensibilité, public dont se passe volontiers l’épicurien : – car celui-ci a »son jardin » !
Pour des hommes avec qui le destin improvise, pour ceux qui vivent à des époques violentes et dépendent d’hommes brusques et changeants, le stoïcisme peut être fortement conseillé. Mais qui prévoit d’une certaine manière que le destin lui permet de filer un long fil fait bien de s’organiser de manière épicurienne : tous les hommes qui se consacrent au travail intellectuel l’ont fait jusqu’à présent ! Ce serait en effet pour eux une perte que d’être dépossédés de leur fine excitabilité et de se voir offrir en échange la dure peau stoïcienne aux piquants de hérisson. » (Quatrième livre)
« Au demeurant, j’ai toujours trouvé ce prétexte cérémonieux, qui ordonne si rigoureusement et exactement de tenir bonne contenance et un maintien dédaigneux et posé à la tolérance des maux. Pourquoi la philosophie, qui ne regarde que le vif et les effets, se va-t-elle amusant de ces apparences externes ? (…) Qu’importe que nous tordons nos bras, pourvu que nous ne tordons nos pensées ! Elle nous dresse pour nous, non pour autrui ; pour être, non pour sembler (…) Si nous avons beau jeu, c’est peu que nous ayons mauvaise mine. Si le corps se soulage en se plaignant, qu’il le fasse (…) Nous avons assez de travail du mal sans nous travailler de ces règles superflues. » (Essais II,37 De la ressemblance des enfants aux pères)
L’un et l’autre pointent la pente orgueilleuse d’un certain stoïcisme. Cependant tous les deux avaient bien un peu la peau dure, même sans piquants de hérisson. (Quoique. La moustache de Friedrich … cf 12/20). Quant au fait que le souple épicurisme soit une méthode plus efficace que la tension stoïcienne (encore qu’il ne faille pas trop forcer l’opposition) pour tenir la distance sur le chemin de la vie, comment ne pas trouver cela de plus en plus juste au fur et à mesure que l’on vieillit.
« n°310 : Volonté et vague.
Avec quelle avidité s’avance cette vague, comme s’il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s’insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu’elle veuille y arriver avant quelqu’un ; il semble qu’y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur. – Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d’excitation, – est-elle déçue ? A-t-elle trouvé ce qu’elle cherchait ? Fait-elle semblant d’être déçue ? – Mais déjà s’approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors. C’est ainsi que vivent les vagues – et c’est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! » (Quatrième livre)
Cette métaphore du désir, de la volonté, est-elle si juste ? On peut aussi bien, comme cette petite futée de Mafalda (génial Quino …), trouver que la mer qui avance, recule, puis avance, recule, n’a aucune suite dans les idées. Mais ça n’empêche pas la force poétique de ce texte. S’il y a un trésor, il est là, dans l’art de voir, de ressentir, de dire.
« n°312 : Mon chien.
J’ai donné un nom à ma douleur et je l’appelle »chien », – elle est tout aussi fidèle, aussi indiscrète et effrontée, aussi distrayante, aussi sage que n’importe quel autre chien – et je peux l’apostropher et passer sur elle mes accès de mauvaise humeur : comme d’autres le font avec leur chien, leur domestique et leur femme. » (Quatrième livre)
Après stoïcisme et épicurisme, voici le »cynisme » à la mode de Friedrich. Un cynisme apprivoisant son chien noir (disait Churchill de cette chose). Chien noir qui fut aussi celui de Goya, lui qui pour sa part l’a sublimé dans sa géniale toile Le chien.
« n°318 : Sagesse dans la douleur.
Dans la douleur, il y a autant de sagesse que dans le plaisir : elle fait partie, comme celui-ci, des forces de conservation de l’espèce de premier ordre. Si ce n’était pas le cas, elle aurait péri depuis longtemps : qu’elle fasse mal ne constitue pas un argument contre elle, c’est son essence. J’entends dans la douleur le commandement lancé par le capitaine du navire : »Amenez les voiles ! » L’intrépide navigateur »homme » doit être exercé à disposer les voiles de mille manières, sans quoi son sort ne serait que trop vite réglé, et l’océan ne serait que trop prompt à l’engloutir. Nous devons aussi savoir vivre avec une énergie restreinte : dès que la douleur lance son signal d’alarme, il est temps de la restreindre, – quelque grand danger, une tempête s’annonce, et nous faisons bien de nous »gonfler » le moins possible. » (Quatrième livre)
Courage, persévérance à tenir dans l’être, choisir la vie. Mais, sagesse dans la douleur, Nietzsche s’exhorte à le faire sans raideur, sans défi, dans le pragmatisme. Acceptant que, voiles amenées pour donner moins de prise au vent mauvais, le voilier ralentisse, voire reste un moment en panne.
« n°324 : In media vita.
Non ! La vie ne m’a pas déçu ! Année après année, je la trouve au contraire plus vraie, plus désirable et plus mystérieuse, – depuis ce jour où la grande libératrice est descendue sur moi, cette pensée que la vie pourrait être une expérimentation de l’homme de connaissance – et non un devoir, non une fatalité, non une tromperie ! – Et la connaissance elle-même : elle peut bien être pour d’autres quelque chose d’autre, par exemple un lit offrant le repos, ou le chemin menant à un lit offrant le repos, ou un divertissement, ou une oisiveté, – pour moi, elle est un monde de dangers et de victoires dans lequel les sentiments héroïques aussi ont leurs lieux où danser et s’ébattre.
»La vie, moyen de connaissance » – avec ce principe au cœur, on peut non seulement vaillamment, mais même gaiement vivre et gaiement rire ! Et qui s’entendrait à bien rire et vivre en général, s’il ne s’entendait tout d’abord à la guerre et à la victoire ? » (Quatrième livre)
Voilà qui me suggère un test : quel philosophe êtes-vous ?
Q1. Pour vous la vie est :
a)vraie, désirable, mystérieuse
b)un devoir, une fatalité, une tromperie
c)une expérience
Q2. Pour vous la connaissance est :
a)un lit de repos, un divertissement, une oisiveté
b)un monde de dangers et de victoires
Maintenant découvrez votre profil. Si vous avez coché :
Q1b. Q2b : vous êtes plutôt Schopenhauer. Votre lucidité vous porte souvent au désespoir. Mon conseil : adoptez un porc-épic pour meubler votre solitude.
Q1abc Q2 b : vous êtes plutôt Nietzsche. Hypersensible, surdoué, volontaire, vous vous sentez responsable de trop de choses. Mon conseil : partez en vacances à la mer.
Q1 ac. Q2 a : vous êtes plutôt Montaigne. Mon conseil : restez vous-même.
lIlustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)
Moi je penche vers Q1 c Q2 b… Je vais me laisser pousser la moustache. Je déteste les plages.
Alors la croisière fluviale sur le long fleuve tranquille ? …
Plutôt un Marseille-Saïgon en passant par Le Cap.
Il serait juste de rendre aux stoïciens cette chose qui accompagne dans les épreuves, ne pas se tendre contre ce sur quoi on n’a aucune prise, car la plainte, là, rend la douleur plus forte, et empêche l’accès à ce sur quoi on a prise… Chienne de douleur de l’impuissance à aider qui l’on aime par exemple, ou à empêcher l’hostilité d’autrui…Mais au fond son « amenez les voiles » rend justice en ce sens au stoïcisme…
Pour le quiz : Q1 AC Q2 plus difficile, il n’y a pas de C? disons qd même A…
J’adopterais donc plus volontiers un chat (celui que je garde en ce moment est un beau rouquin nommé Socrate) mais je n’ai rien contre les moustaches, (mon vieil Oedipe…).
Un séjour dans les Cotswolds dans un cottage avec de beaux rosiers, je m’en contenterais….un temps….
Oui les propositions de ce sondage sont trop limitées et orientées (comme les « vrais » en fait …) car je n’ai fait que reprendre les mots de Nietzsche ici. Mais il y a bien d’autres manières de dire les choses c’est sûr. A chacun d’y trouver son animal d’adoption, voire son totem : chat, chien (noir ou pas), cheval, porc-épic, python*… Pour ma part ce serait l’escargot.
*Je me suis délectée à lire « Il n’y a pas de Ajar » de Delphine Horvilleur.