« n°37 : Trois fois par erreur.
On a, ces derniers siècles, favorisé le développement de la science en partie parce que l’on espérait avec elle et grâce à elle comprendre le mieux possible la bonté et la sagesse de Dieu – motif fondamental de l’âme des grands Anglais (comme Newton) –, en partie parce que l’on croyait à l’utilité absolue de la connaissance, notamment à la liaison la plus intime de la morale, du savoir et du bonheur – motif fondamental de l’âme des grands Français (comme Voltaire) –, en partie parce que l’on pensait posséder et aimer dans la science quelque chose de désintéressé, d’inoffensif, d’autosuffisant, de vraiment innocent, d’où seraient totalement exclues les pulsions mauvaises de l’homme – motif fondamental de l’âme de Spinoza, qui, en tant qu’homme de connaissance, se sentait divin : – trois fois par erreur, donc. » (Premier livre)
Pensée bien désabusée. Pourtant les croyances mentionnées ont bel et bien été canal de progrès. Non seulement dans le domaine de la science, mais aussi en politique, pour les sociétés. En fait ces mots attirent surtout l’attention sur la valeur performative des croyances, et sur le fait qu’elle est à double tranchant.
Si la foi de Newton en un Dieu bon, de Voltaire dans la raison, de Spinoza dans la connivence entre nature et raison humaine, ont eu des effets positifs, c’est qu’elles étaient elles-mêmes des croyances positives.
On peut en revanche rejoindre l’appréhension de Nietzsche : la performativité d’une croyance négative est aussi forte, si ce n’est davantage. Et elle fait des ravages, réduit en peu de temps les si fragiles acquis du développement de la science, de la rationalité. Je pense inutile de donner des exemples.
« n°41 : Contre le repentir.
Le penseur voit dans ses propres actes des tentatives et des questions visant à obtenir des éclaircissements sur un sujet quel qu’il soit : le succès ou l’échec sont en premier lieu pour lui des réponses. Mais se mettre en colère ou éprouver du repentir du fait que quelque chose rate – c’est là une attitude qu’il abandonne à ceux qui agissent parce qu’on leur en donne l’ordre, et qui doivent s’attendre au retour de bâton si le gracieux maître n’est pas satisfait du résultat. » (Premier livre)
Il y a des jours Nietzsche est vraiment spinoziste. Bel éloge de l’autonomie de qui se confie en vérité à la raison.
« Le penseur voit dans ses propres actes des tentatives et des questions » : après Spinoza, il y a aussi du Montaigne là-dessous.
« n°45 : Épicure.
Oui je suis fier de sentir le caractère d’Épicure autrement peut être, que tout autre, et de savourer dans tout ce que j’entends et lis de lui le bonheur de l’après-midi de l’Antiquité : – je vois son œil contempler une vaste mer blanchâtre, par-dessus les rochers de la côte sur lesquels repose le soleil pendant que des animaux petits et grands jouent dans sa lumière, sûrs et tranquilles comme cette lumière et cet œil lui-même. Seul un être continuellement souffrant a pu inventer un tel bonheur, le bonheur d’un œil face auquel la mer de l’existence s’est apaisée, et qui désormais ne peut plus se rassasier de contempler sa surface et cette peau marine et chamarrée, délicate, frémissante : jamais auparavant il n’y eut telle modestie de volupté. » (Premier livre)
Conclusion : vive l’Italie, la mer, vive Gênes où Nietzsche retrouva le plaisir, la joie et la force de vivre en écrivant ce Gai savoir.
Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)
Une belle sélection, quelque chose d’heureux.
Et oui les croyances positives ont des effets positifs, cela éclaire bien le propos ; quant à celles qui sous la même défroque, mais plus voyante, sont pure bigoterie aux ordres, religieuses, ou pas, elles restent calamitas calamitatum…