Comme un grand nombre des élites de l’époque, lecteurs enthousiastes des philosophes des Lumières, Germaine de Staël a vu naître avec joie la Révolution française, convaincue que l’Histoire y trouverait la possibilité de « concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies ».
Sauf que. Les acteurs de la Révolution n’ont pas tous eu cette sagesse, et le démon de l’esprit de parti s’est emparé de beaucoup, travaillant à disjoindre, à rendre irréconciliables ces deux éléments dont la complémentarité construit l’harmonie civile.
« On est d’accord, je pense, sur l’impossibilité du despotisme, ou de l’établissement de tout pouvoir qui n’a pas pour but le bonheur de tous ; on l’est aussi, sans doute, sur l’absurdité d’une Constitution démagogique* qui bouleverserait la société au nom du peuple qui la compose. »
Impossibilité : elle ne veut pas dire que ça n’ait pas existé (certes) ni que ça ne puisse exister (hélas), mais juste que ce n’est pas la bonne option.
*« J’entends par Constitution démagogique, celle qui met le peuple en fermentation, confond tous les pouvoirs, enfin la constitution de 1793. » dit-elle en note. De fait elle revient souvent sur le trauma de la Terreur pour « nous, les contemporains, les compatriotes des victimes immolées dans ces jours de sang »
Néanmoins, signature de sa force d’intellect et de caractère, autant que de la sincérité de son désir démocratique, Germaine l’impartiale ne se laisse pas entraîner à jeter le bébé avec l’eau du bain (de sang).
« C’est donc en écartant cette époque monstrueuse, c’est à l’aide des autres événements principaux de la Révolution de France et de l’histoire de tous les peuples, que j’essaierai de réunir des observations impartiales sur tous les gouvernements. »
« je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l’influence qu’ils ont laissée aux passions naturelles des hommes réunis en société (…)
Dans la première section, je traiterai des raisons qui se sont opposées à la durée et surtout au bonheur des gouvernements, où toutes les passions ont été comprimées.
Dans la seconde section, je traiterai des raisons qui se sont opposées au bonheur et surtout à la durée des gouvernements, où toutes les passions ont été excitées. » (De l’influence etc. Introduction)
Parallèle durée/bonheur qui est déjà une argumentation. Le régime politique qui comprime les passions est un tue-bonheur des citoyens, ce qui à terme le condamne : elle pense encore à la Terreur, mais on en a vu d’autres depuis.
À l’inverse le régime qui compte durer en excitant toutes les passions fait un mauvais calcul. Passions des uns égale malheur des autres, et vice-versa. Résultat à terme : insatisfaction de tous. Et forcément c’est au gouvernement que tous s’en prennent, dans une symétrie de raisons inverses.
D’où la question : comment concilier durée et bonheur d’un gouvernement ?
Germaine ne fait pas mystère de sa solution : une démocratie représentative. République ou monarchie constitutionnelle, ça dépendra du contexte. « Je terminerai cet ouvrage par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements. »
Une partie des avantages : pragmatisme prudent. Elle ne fait pas dans l’envolée démagogique et la solution miracle (elle ferait sans doute une piètre candidate par les temps qui courent)
Pour des raisons pas vraiment élucidées, elle n’écrira que la première partie du livre, sur le bonheur individuel. Ce que d’une certaine manière elle pressent : « Si les accidents de la vie ou les peines du cœur bornaient le cours de ma destinée, je voudrais qu’un autre accomplît le plan que je me suis proposé. »
Crédit image : Gallica (gravure de Laugier d’après la peinture de Gérard)
Ah qu’on aimerait que ces propos liminaires, même sans qu’il leur ait été donné suite, puissent guider les constricteurs et calmer les exciteurs, qui se déchaînent dans les meetings à grand spectacle et ceux au petit pied qui les imitent, adorent ou exècrent sur les réseaux et leur donnent du biscuit…on aimerait en savoir plus sur la manière dont elle entendait démocratie représentative et être ainsi nourri de sages réflexions…
On se contentera donc de la suivre sur la quête du bonheur individuel, qui n’est déjà pas une mince affaire…
Son expérience au contact des acteurs de la Révolution, en particulier de ses bêtes noires, véritables anti-modèles, que furent pour elle Robespierre et Bonaparte, en des genres différents (ou pas tant que ça ?) fonde sa pensée sur le rapport entre passions et politique : seule l’im-partialité peut construire une ré-publique digne de ce nom.
Ne pas faire de la politique un jeu de dupes pour le citoyen sincère, ne pas en faire une idéologie de l’affrontement partisan et une théologie du rapport de forces, avec pour seul but de déterminer des vainqueurs (nous) et des vaincus (eux). Il ne s’agit pas de nier les divergences de perception et de conception, ni le poids des contextes. Au contraire elle y est très sensible.
C’est pourquoi, concrètement, véritablement, construire une république de tous pour tous avec tous, passe par des procédures, des délégations de pouvoir, des médiations aussi justes et bien pensées que possible. Donc une démocratie représentative, qui par définition n’est pas un régime figé. Elle essaie seulement, à la façon de Rousseau, de discerner l’essentiel du secondaire, les principes intangibles de leurs concrétisations. Voir à ce propos son ouvrage « Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France ».
Euh bon voilà : réponse un peu longue, a-t-elle apporté des précisions ? Au moins j’espère envie de continuer avec Germaine.