Faute de deuxième partie sur le bonheur des nations (qui eût été du plus grand intérêt, mais bon) nous avons la première sur la recherche du bonheur par l’individu.
La logique en est simple. La passion est, au moins en partie, ennemie du bonheur, pose Germaine. Pour vivre heureux il faut tenter de se prémunir de ses dégâts potentiels, chercher des pare-feu, qu’elle nomme des ressources. Position éthique classique, que modifiera l’époque romantique, valorisant l’intensité au détriment de la maîtrise, dissociant le bonheur du calme. Genre levez-vous vite orages désirés … (pour le dire avec René).
Germaine vit au tournant de ce virage culturel. Femme passionnée, engagée, dans sa vie privée comme publique, elle en a payé le prix, a éprouvé ce qu’il en coûtait de s’investir sans retenue. Bref pour le dire élégamment elle en a pris plein la gueule plus souvent qu’à son tour.
On peut le lire parfois entre les lignes, ainsi dans ces mots de l’avant-propos du livre : « Condamnée à la célébrité, sans pouvoir être connue, j’éprouve le besoin de me faire juger par mes écrits. »
En effet dans ce livre se découvre en profondeur Germaine de Staël : passionnée qui n’a pas renié la passion, mais a travaillé à en limiter les dommages en elle et autour d’elle, par goût de la liberté et du bonheur. Le plan correspond à cette logique disons thérapeutique : analyser le poison des passions, donner la formule des ressources-antidotes.
Section première. Des passions
Chap 1 De l’amour de la gloire.
Chap 2 De l’ambition.
Chap 3 De la vanité.
Chap 4 De l’amour (précédé de Note qu’il faut lire avant le chap De l’amour).
Chap 5 Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc.
Chap 6 De l’envie et de la vengeance.
Chap 7 De l’esprit de parti.
Chap 8 Du crime.
Question : comment Germaine a-t-elle décidé de cette liste ? Elle ne s’en explique pas, soulignant seulement des passions ici nommées le caractère imposant. Ce que je comprends : le fait qu’elles ont tendance à s’imposer, à imprégner toute la personnalité.
Deux regroupements s’imposent. Amour de la gloire, ambition, vanité jouent sur des ressorts communs. De même envie, vengeance, esprit de parti procèdent d’une même logique qui culmine dans le crime.
Restent à part l’amour et le chap 5 dont Germaine souligne le côté flottant par son « etc. »
Les autres sections du traité exploreront les ressources contre le malheur passionnel.
Deuxième section* : affectivité, aide mutuelle, consolation des proches (ou de Dieu), ce qu’elle nomme sentiments. Disons les bénéfices de l’amour sans ses emmerdes. Sauf que ces ressources ramènent souvent à la dépendance d’autrui, dit-elle, et la passion évacuée par la porte revient par la fenêtre.
D’où la troisième section** : les ressources, les consolations, on peut les chercher en soi : c’est peut être même le plus sûr.
*qui fera l’objet d’une 2° série d’articles
**qui fera l’objet d’une 3° série.
(Mais pas de panique : la série 2 ne comptera que 4 articles, et la série 3 que 5).
Crédit image : Gallica (gravure de Laugier d’après la peinture de Gérard)
Ah un bon petit plan pour savoir où on met les pieds et les neurones ! Mille mercis! Au milieu des passions, la démarche-même de la patience analytique calme et revigore, aussi…
Merci, bienveillante lectrice, c’est gentil de le dire comme ça, car j’ai conscience que tout cette « patience analytique » (ma pulsion de base en tant qu’obsessionnelle bon teint, dirait Papa Freud) n’est pas glamour glamour …
Le livre de Germaine contient beaucoup de choses fines, subtiles, aiguës, même si la démarche d’ensemble n’est pas particulièrement originale. Mais une chose m’a plu par dessus tout, c’est l’absence de frime. Lire ce livre honnête et posé d’une femme itou m’a fait du bien. D’où ma tentative d’intéresser les Fragiliens à son travail. (Pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer …)
Les Fragiliens étant comme toute nation sur le net une nation mouvante, tu n’auras pas perdu ton temps en en intéressant quelques uns…Ecrire pour le partage, puisqu’à l’image de madame Germaine, peu doit nous chaloir d’écrire par ambition ou vanité! Vieilles autrices fragiliennes, continuons à persévérer!