« Je vais parler d’une sorte de passions qui soumet l’homme au joug de sensations égoïstes. Ces passions ne doivent point être rangées dans la classe des ressources qu’on trouve en soi ; car rien n’est plus opposé aux plaisirs qui naissent de l’empire sur soi-même que l’asservissement à ses désirs personnels. »
(G de Staël. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc.)
Le parallèle entre empire sur soi-même et asservissement à ses désirs personnels résume l’enjeu moral fondamental pour Germaine : la liberté. Convergence toujours avec Spinoza (et Montaigne).
Et analyse freudienne, à nouveau. Ce chapitre rejoint en effet le chap 2 de Malaise dans la culture qui déroule les parades cherchées par l’être humain aux malheurs de sa condition.
L’expression sensations égoïstes désigne d’emblée les deux principes de ces passions, le besoin d’émotion et l’égoïsme. Deux principes qui d’une certaine manière sont en interaction. « Les libertins, ceux qui s’enivrent, les joueurs, les avares » ont ceci de commun qu’ils « ne trouvent de bon dans la vie que ce qui la fait oublier. »
Elle envisage le côté sensation/émotion avec l’exemple de la passion du jeu, qui résume pour elle ce que nous appelons aujourd’hui addiction.
« Il n’y a plus de jugement, il n’y a que de l’espérance et de la crainte. On éprouve quelque chose du plaisir des rêves, les limites s’effacent (…) Ce qu’il y a de plus difficile à supporter pour un joueur, ce n’est pas d’avoir perdu, mais de cesser de jouer. »
En termes freudiens : on se soustrait à la réalité frustrante et à son principe frustrant itou, pour s’accrocher au seul principe de plaisir, qui fait fi des limites temporelles et logiques.
«On peut se soustraire à chaque instant à la pression de la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensations meilleures » (Malaise dans la culture chap 2)
Le ressort de l’égoïsme, envisagé ensuite, n’est pas tant l’amour de soi que, là aussi, la fuite des frustrations occasionnées par l’autre. « Mécontents de leur relation avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes. »
L’avarice est alors l’accomplissement total de ce qu’elle appelle la personnalité, terme par lequel elle désigne le fait de considérer sa propre personne avant tout. Autrement dit le toutpourmagueulisme.
« L’avarice est de tous les penchants celui qui fait le mieux ressortir la personnalité (…) Les plaisirs, quels qu’ils soient, vous associent aux autres, tandis que (…) l’on dissipe quelque chose de son égoïsme en le satisfaisant au dehors. »
Les avares vivent sous le régime de la prévision, de la provision. Mauvais calcul : à économiser sa vie on la perd. Et ainsi, ironie de leur sort, «Après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours à venir, ils éprouvent une sorte de rage en voyant s’approcher le terme de l’existence. »
Crédit image : Gallica (gravure de Laugier d’après la peinture de Gérard)