« Elle est retrouvée !
Quoi ?
L’éternité ! C’est la mer allée avec le soleil »
Là où Spinoza géométrise, Rimbaud fulgure (à chacun son conatus), mais leurs propos clairement se rejoignent.
Bon OK c’est sur les hauts sommets de la génialitude visionnaire que se fait la jonction, et les rampants que nous sommes se trouvent obligés à un certain effort pour les y suivre. Mais c’est comme pour une randonnée en montagne, l’ivresse de découvrir une vue sublime compense courbatures & essoufflatures.
Sans compter l’air si pur qu’on a l’impression de le boire comme une eau, à la régalade, en laissant le vent baigner nos têtes nues (quoique pleines de considérations philosophiques ou autres).
Euh bon à propos d’ivresse je devrais arrêter Rimbaud, me voici à deux doigts de sombrer dans un lyrisme échevelé.
Bref Arthur le voyant retrouve ici Spinoza le lucide sur deux points :
1) pas de solution de continuité entre temporel et spatial. Ni d’ailleurs entre les différentes modalités de la matière. Mutuelle imprégnation, réversibilité entre l’eau et la lumière.
2) l’éternité se re-trouve. C’est donc qu’elle est déjà là, accessible dans le temps vécu.
Pour le dire un peu plus géométriquement « Par éternité j’entends l’existence même en tant qu’on la conçoit suivre nécessairement de la seule définition d’une chose éternelle » (part.1 déf.8)
Plus clair, non ? Non ? Bon alors l’explication qui suit :
« Elle ne peut s’expliquer par la durée et le temps, quand même on concevrait la durée sans commencement ni fin. »
L’éternité n’est pas un temps sans bornes, elle est le caractère non-bornable du temps. Disons barbarement la non-bornabilité du temps en elle-même. Elle est infuse en chaque instant du temps. Elle n’est pas la transcendance du temps. Pour la bonne raison que la transcendance ça n’existe pas (cf par ex 15/24).
En réalité, il n’y a que l’immanence, et en effet l’éternité est l’existence-même : oui, tout simplement car l’existence aussi peut être considérée dans son caractère non-bornable, in-déterminé, sub specie aeternitatis, sous l’aspect de l’éternité. (cf part.5 prop.25-30)
C’est pourquoi l’éternité, tissée dans le temps, « allée avec » la trame du temps linéaire, celui qui passe, au fil duquel on naît, on vit, on meurt, il n’est pas réservé à Rimbaud ou Spinoza de la rencontrer, de la re-trouver.
Il suffit (mais il faut) un peu d’attention à ce qui est. Bon d’accord on n’aura pas pour la dire leurs mots de pur génie. Qu’importe, pour faire corps avec l’existence-même, il y a toujours le mot présent.
Photo par MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100
Oui, l’éternité c’est deux sabots bien plantés dans le présent, des sabots à racines plongeantes qui la nourrissent, ou la consolent du passé ; je crois que le passé est bien là dans le présent, l’éternité sédimentaire, il ne cesse d’y germer et d’y produire, d’y creuser parfois des trous noirs qui sont bien aussi elle, mais que l’instant et parfois les désirs pour demain, ou pour tout à l’heure, ne ravaudent pas si mal…Chacun de nous réinvente cette éternité-là à usage des suivants, merci Spin’, merci Arthur, merci Ariane, et on pourrait en remercier encore bien d’autres….