Dans ma lecture de « Houris » j’ai été sensible à l’aspect féministe, à l’enjeu de laisser parler ou faire taire les femmes. C’est le puissant symbole du personnage d’Aube, bouche cousue dans cet atroce sourire forcé, ce rictus signant la jubilation de la cruauté de ses bourreaux.
On voit dans le livre comment au moment de la guerre civile, hommes et femmes ont été sommés de s’aliéner à une vision fondamentaliste de l’Islam, dont le cœur si l’on ose dire, est la haine/peur/mépris des femmes. Haine meurtrière des femmes, destructrice de l’humanité des hommes, suicidaire pour les sociétés.
Cet anti-humanisme sévit évidemment ailleurs, moyennant d’autres fondamentalismes. Qui sont souvent également religieux, par exemple les sectes protestantes aux USA ou au Brésil, les partis religieux en Israël … Je passe sous silence les catholiques intégristes qui n’ont plus vraiment les moyens de leur nuisance. (Quoique, en support électoral de l’extrême droite …).
Et je n’ai garde d’oublier les dégâts des fondamentalismes « seulement » idéologiques, comme la vague dite masculiniste qui se répand, y compris dans les démocraties.
Au total ce qu’à mon sens le livre éclaire avec vigueur, c’est le lien organique entre féminisme, humanisme et démocratie. Un lien qui repose sur le droit à parler en liberté et vérité : d’où la place centrale des écrivains, journalistes, enseignants, quand ils se font serviteurs et servantes du mot juste. Et, à travers cette justesse, revendiquent la justice.
Certains d’entre eux et elles vivent sous l’oppression d’une idéologie totalitaire, religieuse ou pas. Beaucoup d’entre eux-elles prennent pourtant le risque d’une parole libre contre les ennemis de la liberté comme de l’égalité, jusqu’à la mort parfois.
Nous vivons en liberté, ici et aujourd’hui. Nous pouvons, hommes et femmes, parler où, quand, avec qui bon nous semble, et de tout sujet. Il nous appartient de ne pas casser le fragile ressort de la démocratie : l’honnêteté du débat. L’expression rationnelle et argumentée de faits et d’opinions, dans le but de prendre en commun des décisions justes et utiles à tout le corps social. De résister aux bidouillages des bricoleurs du chaos qui sévissent en politique et ailleurs (particulièrement sur les réseaux sociaux).
Je termine sur une note plus optimiste : « Houris » est aussi, surtout, un plaidoyer pour vivre au présent, et arrêter de laisser les morts d’un passé mythifié hanter les vivants d’aujourd’hui. Mais oui, arrêtons de faire les guerres d’avant. Regardons plutôt qui colonise, tue, asservit qui et quoi aujourd’hui. Car c’est la guerre d’aujourd’hui qui réclame toutes nos forces, nos intelligences, notre abnégation.
Quel « but de guerre » ? Oh une broutille : la survie de l’humanité en l’être humain, menacée par toutes les joyeusetés évoquées ci-dessus, et la survie de l’espèce humaine, menacée par la destruction galopante de son écosystème. Comment y arriver ? D’abord en aimant et choisissant résolument la vie.
« C’est le pays de vos enfants que vous devez aimer. » (Nietzsche. Ainsi parlait Zarathoustra)
Merci d’avoir répondu en approfondissant et élargissant mon propos…une analyse claire et précieuse!
Merci à toi d’avoir soulevé cette question qui touche à des points essentiels. J’espère que d’autres réactions s’exprimeront.
Oui, nous vivons en liberté…pour l’nstant. Mais les choix des pays démocratiques prouvent que tout peut basculer rapidement et que notre vigilance ne doit pas se relâcher.
Oui aimons à travers ce livre résolument la vie contre les vents et marées mortifères. Merci Ariane d’avoir éclairé de façon originale ce roman.
Il y a l’esthéticienne qui ne peut quasiment plus parler et qui parle tout du long dans sa tête à son enfant qui est dans son ventre. Il y a aussi le libraire qu’elle rencontre. Il sait lire mais pas écrire, et comme il ne peut se délivrer par l’écriture, il n’en finit pas de lui raconter.
Or, en épigraphe, il y a le rappel de l’article 46 de la Charte pour la Paix et la Réconciliation nationale, qui intime le silence sur certaines choses.
C’est précisément de ces choses-là que les personnages, des victimes, poussés par un besoin, une volonté, un désir irrépressibles, parlent. Quelque chose en eux – l’humanité sans doute – s’indigne et se révolte contre le silence.
Je n’ai pas encore fini le livre.