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« Je découvrais cette chose surprenante : accéder à la vérité avant l’heure ou hors du chemin qui est le sien peut être une trahison, un grand danger. »

   Dans Rue Darwin, roman paru en 2011, Boualem Sansal nous livre une quête de vérité étonnante de douceur et de silence. Yazid, son narrateur, entreprend le récit d’une famille multiple et délitée dont nous peinons parfois à trouver des représentations dans nos modèles occidentaux. C’est dans ce devoir filial qui ignore tour à tour consciemment et inconsciemment sa genèse, c’est au cœur d’une grande tendresse que se dessine le chemin de son personnage. Une écriture chronologiquement décousue, entre aller-retours et répétitions, soutient le récit avec la force singulière d’une voix feutrée associant ses souvenirs et ses idées.

La réalité historique de l’Algérie de la deuxième moitié du XXe siècle est vue au travers des yeux d’un narrateur en retrait, plus à même de nous livrer ses analyses sur les transformations sociétales qui s’opèrent que de détailler les évènements qu’elle traverse. On retrouve ainsi (peut-être plus subtilement que dans Le Village de l’Allemand) ce parallèle qu’il fait entre les transformations algériennes et la Shoah, et sur lequel il livre une réflexion que l’on sent profondément universelle.

« (…) la vraie haine, totale et irréductible, dépasse la haine commune et vulgaire aussi grande soit elle, elle est souveraine, elle est au-dessus des mots et des colères, elle comprend la vraie nature du mal qui est en nous autant qu’en l’autre, donc elle est portée à la pitié et n’est pas loin du pardon. »

Mais il est écrit aussi : « C’est avec des légendes qu’on gouverne les peuples, et les légendes ont besoin de temps en temps d’être convoquées pour qu’on continue de croire en son destin. »Rue Darwin préfigure le roman qui suivra en 2015 : dans 2084, La fin du monde, Boualem Sansal fait entreprendre à son personnage principal, anti-héros comme Yaz, un voyage initiatique à travers une Algérie dystopique et futuriste, où les références orwelliennes sont sans équivoque tout en atteignant un niveau de raffinement encore supérieur dans l’interprétation qui est faite du système d’aliénation politique, linguistique et sociétale.

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