Peindre à Palerme : rester serein quand vient le surin.
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Yves Chaudouët, Peindre à Palerme, Actes Sud, avril 2023, 214 pages.
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Si on doit parler ces temps-ci d’une littérature de la peinture, comme on le fait d’une littérature de la natation ou de la montagne, le livre d’Yves Chaudouët y prendra sa place pour ses descriptions du travail du portraitiste. En l’occurrence, celui-ci s’appelle ici Fisch (poisson en allemand) et au titre de ce qu’on imagine une errance, est descendu au palazzio Abatellis de Palerme ̶ remontant les fleuves ou les descendant, on ne sait trop, dira le texte ̶ voir la vierge de l’Annonciation, l’Annunciata, peinte par Antonello, dont on sait qu’elle reçoit l’archange Gabriel sans que celui-figure sur le cadre, une huile sur bois de 45 X 34,5 comme en peint Fisch, un petit format pour mieux fuir.
Délesté de ses économies, il va rester au port, le Café du port où e ristretto , est fort bon et, contre gîte et couvert, faire le portrait des amis de la maison. Le décor est planté pour que se joue la pièce qu’avait sans doute imaginée l’auteur. Différents personnages y sont convoqués dont le narrateur nous dira, en employant le conditionnel à défaut de didascalies, d’où ils viennent et ce qu’ils incarnent de la galerie de figures siciliennes : le policier, le migrant, le truand, la journaliste qui enquête sur lui… Pas d’incursions dans la ville hormis au jardin botanique proche ou à l’Hôtel des Palmes où « les caractères typographiques de l’œuvre de Raymond Roussel » amèneront heureusement le personnage proche du vomissement. Une scène au restaurant cependant savoureuse où un vieux mafieux en costume, incarnant le pervers patriarche, vient demander à Atit, la journaliste et enfant du quartier qu’a rencontrée Fisch, puisqu’elle parle anglais, comme une invite à retrouver le droit chemin, à aller voir son fils à New-York où il a ouvert une pizzeria ! On pense au film de Bellochio ou à l’arrestation récente à Palerme du chef maffieux Denaro en janvier dernier qui avait l’habitude de s’y promener dans la rue alors qu’il était recherché depuis des dizaines d’années.
Foin des clichés ! C’est sur l’acte de peindre que l’œuvre… livre beaucoup de choses. Fisch y peint dans la « verticalité », et par le corps aussi quand, alors qu’il se trouve dans un état amoureux après sa rencontre avec Atit, son pinceau finissant par s’imprégner de la présence de ses modèles. Il mettra même son art au service de la recherche de la vérité, voulant éprouver par les couleurs et les formes, si « une composition indiscutable pourrait établir une certaine vérité » quant à savoir si la méchanceté du truand, qui a voulu être portraituré, est sans bornes ou constitue une simple plaie, ce Frederico dont il peut porter le regard sur la « zone glacée des yeux (…) y voir autre chose que des fentes ménagées dans la chair devenue sujet ».
Le lecteur pourra regretter la présentation du travail de l’écrivain sans découpage en chapitres, scènes ou actes (mais que font les éditeurs ?) mais appréciera la densité du texte ainsi que concision du style, non exclusive de théorisations bienvenues ou de notions de peinture – Yves Chaudouët enseigne les arts plastiques ̶ et le bonheur qu’il distille concernant en particulier la rencontre amoureuse avec Atit.
Atit est donc cette journaliste travaillant dans le journal local sur l’affaire de traite des migrants, Il traffico. Elle va au départ aller au renseignement auprès de Fisch puis se laisser apprivoiser par la douceur de celui-ci. S’en suit une délicieuse description des rapports qui s’établissent entre les deux du bout des doigts, une chorégraphie toute en fluidité même si parfois « tous les coins de l’appartement » sont utilisés.
Le concept de tragédie fera que des coups de couteau, de surin – celui que Frederico, jaloux, est revenu chercher dans son ancienne chambre, seront portés dans les lieux mêmes du café. On comprendra que Qwam, le migrant, se fasse policier, pour dénoncer le passeur et on souhaitera de tout cœur que Fisch puisse vite partir avec Atik sur l’île d’Ustica.
A savoir que l’auteur a gardé trace d’Atik, comme se construisant un viatique après son séjour dans l’île de Sicile, si on considère que le portrait de celle-ci était accroché à la galerie La mauvaise réputation, à Bordeaux, jusqu’à fin mai. On y aura retrouvé la mèche pendant sur le visage.
Merci François de nous proposer un regard singulier sur ce premier roman d’Yves CHAUDOUËT. Ce texte vient compléter à merveille la critique parue dans « Le Monde des Livres » du vendredi 7 juillet. Le lien avec la galerie La Mauvaise Réputation de Bordeaux permet également de découvrir un aperçu de l’œuvre peint de l’auteur. Formidable !