Tu cherches du travail demain ?
Non j’ai piscine (Alès 2014)
Un dialogue que nous situerons en marge d’un colloque sur le travail. Deux éminents sociologues, à l’issue de la session, sont allés prendre un verre (ou plusieurs qui sait). Quoi qu’il en soit, dans un louable souci de vulgarisation de leur savoir de spécialistes, ils ont décidé d’afficher pour le tout-venant les deux visions qui les ont opposés en un débat dont la vivacité n’a pas empêché la courtoisie.
Le premier est de toute évidence acquis aux thèses qui font du travail la base du lien social et de l’épanouissement humain. Il insiste cependant sur le fait que, tout bien essentiel qu’il soit, le travail n’est pas donné immédiatement : il s’agit de le chercher, de le mériter, de s’en rendre digne (nous décelons par là son adhésion aux théories anglo-saxonnes marquées par le protestantisme). Dans cette logique, le point d’interrogation appuie la fonction conative du discours. Le tagueur entend inciter son lecteur à faire preuve de dynamisme, de volontarisme, de persévérance. (Quel meilleur mot que demain en effet pour suggérer l’inscription dans un projet ?)
D’après sa réponse, le second chercheur a choisi de tout autres références. Après le libéral, le libertaire. Il plaide clairement pour une société des loisirs, où chacun puisse épanouir sa créativité. Chose rendue possible par le partage du travail (et un travail véritablement utile au corps social) (dirais-je en développant l’implicite de la notion de piscine) (ben oui nage = corps, eau du bain = collectivité). Peut être même va-t-il plus loin, revendiquant avec Paul Lafargue le droit à la paresse, si l’on en juge par la passivité, voire le manque d’autonomie que suggère j’ai piscine. (Je vais à la piscine aurait connoté plus d’engagement). (On l’imagine pas plonger du haut du grand plongeoir).
Cependant nous n’aurons garde d’oublier la fermeté du non opposé à la question de son confrère, dont on a pourtant noté toute la force de conviction, voire de pression.
Bref en guise de conclusion à cette trop brève analyse, j’émets l’hypothèse que notre premier sociologue serait assez d’accord avec cette mère admonestant son fils ado :
Profite de la crise pour ranger ta chambre (Paris 13° 2015) (Quoi sexiste ? Ce père admonestant sa fille, ça vous va ?)
Et le second avec : Dopo Marx aprile (= après Marx avril) (Italie printemps 77)
Ce sera mieux la prochaine fois (ex palais de la république de RDA, statue de Marx et Engels, Berlin 1990)
Il y eut des idéalistes à l’Est pour penser que la chute du Mur marquerait la fin du malheur, de l’oppression, de l’injustice portés par le totalitarisme bolchevique. Hélas ils ont vite découvert l’aptitude du capitalisme à honorer ce même cahier des charges, à mettre en œuvre son propre totalitarisme. Et ils ont compris tout à coup : le discours qu’on leur avait seriné était tenu par des pourris, mais il n’était peut être pas si faux. C’étaient juste ces gens-là qui étaient des faussaires. Car c’était pas tout à fait une mauvaise idée, le communisme. Une idée généreuse, égalitaire. Finie l’exploitation de l’homme par l’homme. (Pour la femme, on verrait après) (de fait on attend toujours, toutes choses égales par ailleurs, je veux dire tous régimes confondus).
Travailleurs de tous les pays qui lave vos chaussettes ? (Marseille 2011)
Man power woman précaire (Agence d’intérim Lille 2004)
Mais soit : le communisme, une idée de bon sens, bien rationnelle. Un projet économique au sens propre. Collectivisation des moyens de production, égale production intelligemment planifiée pour les besoins de la collectivité. Et puis partage équitable, à partir d’une juste contribution. De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins. Tout ça. Finie la concurrence contre-productive, finie la lutte entre victimes. Tout ça. Des rapports internationaux sur le mode de la coopération des opprimés, qui ne pourraient que s’entendre, libérés des mensonges nationalistes propagés par les tyrans à leur bénéfice. Prolétaires de tous les pays unissez-vous. Tout ça.
Ce sera mieux la prochaine fois ? Mais laquelle ? Si l’on considère les autres dictatures prétendues progressistes et populaires, et puis les totalitarismes archaïques clairement obscurantistes, y a de quoi se féliciter : depuis on a fait pas plus mal. Enfin je veux dire on a fait au moins autant de mal. Et on continue.
Faites un effort de paix (Lausanne 2017)
« Bonjour je m’appelle Machin et je suis dictateur
Bonjour je m’appelle Truc et je suis chef de milice
Bonjour je m’appelle Zig et je dirige un cartel de drogue
Bonjour je m’appelle Gus et je mène une guerre sainte
Bonjour je m’appelle Machin-Truc-Zigus et j’ai une agence de mercenaires
Bonjour je m’appelle Zigus-Truc-Machin et je vends des armes »
Cette réunion des Massacreurs Anonymes n’est pas près de se tenir. La violence est une drogue dure c’est pas demain la veille qu’on décroche. On comprend l’intérêt des trafiquants eux-mêmes. Eux leur drogue au départ c’est l’argent et le pouvoir. Et pour obtenir argent et pouvoir quoi de plus efficace que violence et meurtre ? OK rien à dire it’s a free world. Seulement l’un dans l’autre vite fait bien fait ils deviennent des dealers junkies, accro à leur propre came.
Les autres, les gens qui peuplent le monde, au départ ils veulent juste vivre. Mais la plupart se retrouvent vite soumis aux dealers, que ce soit par la terreur ou la nécessité économique (plus souvent par les deux). Et puis, malins, les massacreurs leur ont fait goûter la drogue de la violence, du pouvoir sur celui (celle encore plus) d’en-dessous. Alors ils perdent le contact avec la réalité, se mettent à planer aux aussi dans les enfers artificiels et artificiers, autosuicidaires comme tout junkie digne de ce nom.
En tant que membres de la même espèce menacée, les êtres humains le savent pourtant (au moins dans leurs moments de lucidité entre deux prises) : ils devraient de toute urgence se serrer les coudes au lieu de se casser les couilles (et tout le reste).
Mais comment faire quand on est pris au piège ? Où trouver la force de prendre son courage à deux mains (lâchant ainsi machette, kalachnikov, bombe ou gaz en tout genre etc.) pour oser ce qui n’a jamais vraiment été tenté depuis l’aube de l’humanité : se mettre enfin à l’effort de paix et surtout y contraindre les massacreurs (anonymes ou pas). Le genre de question à faire baisser les bras à Sisyphe soi-même.
I decided not to save the world today (Tel Aviv 2011)
Photo Mabel Amber, who will one day de Pixabay
I decided not to save the world today (Tel Aviv 2011) : quelle belle phrase à garder en mémoire pour les jours de misère morale et de découragement !
Pronom de la première personne jeté en avant : le sujet affirme sa présence, s’implique, contrôle la situation.
Car le sujet « a décidé » : non, il n’est point balloté par les courants contraires, non il n’est pas soumis au fatum, il n’est ni passif ni abattu ni papillonnant ; on entend derrière ce passé composé résultatif une mûre réflexion qui a conduit de manière éclairée à la décision en question.
« Sauver le monde » est une perspective d’action : cela peut faire partie de son agenda (s’il le décide, of course !). Perspective mûrement et tranquillement écartée pour aujourd’hui, mais le focus final sur cet adverbe temporel laisse entendre que demain ou après-demain la chose sera possible ; en tous les cas, qu’elle sera à nouveau envisagée et analysée sous tous les angles.
Ah, si chacun et chacune savait combien la maîtrise de la langue soutient la fermeté de l’âme !…
Commentaire fort stimulant, merci ! Pour ma part je voyais surtout la face découragée de cette déclaration (pensant par exemple au découragement qui peut saisir aujourd’hui en Israël le camp de la paix et du partage devant l’alliance objective des faucons). Mais ta vision argumentée sur « ce que parler veut dire » et sa référence stoïcienne finale sont, elles, encourageantes.