On a reproché à Spinoza de se forger un concept de dieu à sa main. Colerus en est tout chamboulé le pauvre homme. « Il se donne la liberté d’employer le nom de Dieu, et de le prendre dans un sens inconnu à ce qu’il y a jamais eu de chrétiens. »
De fait le dieu de Spinoza est un objet philosophique non identifié.
Comme Montaigne le dit du livre des Essais, il est inepte (adaptable à rien). Concept trop simple pour amateurs de byzantinisme métaphysique, concept trop subtil pour fondamentalistes de tout poil.
Accusé d’athéisme par certains, il s’en défendit, ce qui en déçut d’autres. En fait il est non tant irréligieux qu’a-religieux. Pour lui les religions avec leurs rites, leur anthropomorphisme, sont des superstitions.
Il y voit l’illusion finaliste, qui cherche un au-delà à la réalité substantielle. Conception non sans rapport avec la notion marxiste de superstructure masquant l’infrastructure, et le Freud de l’Avenir d’une illusion.
Son déterminisme a fait évoquer le grand horloger de Voltaire. Mais le dieu de Spinoza, plutôt que l’horloger, serait dans l’horloge, dans le temps et ses équations de mesure, dans la personne qui passe, voit, entend.
Deus sive natura a fait parler de panthéisme. Le panthéisme est-il compatible avec la récusation du finalisme, je ne sais pas.
L’assigner au choix binaire athée/non athée, insignifiant dans son système (comme les alternatives immanence/transcendance, liberté/déterminisme) est-il pertinent ?
Pour être athée comme pour être croyant il faut être pareillement métaphysicien. Ce qu’il n’est pas.
Et puis il y a son imprégnation par la culture juive. A ce propos je vous livre le subtil paradoxe de Paul Auster (Brooklyn follies) « Tous les Juifs sont athées, sauf ceux qui ne le sont pas. »
Bref le plus sûr est le conseil de B. Pautrat (qui présente l’édition où je lis l’Ethique) : ne pas le réinscrire de force dans des traditions auxquelles il échappe singulièrement.
Photo par MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100
Peut-être faudrait-il retourner le paradoxe austerien : tous les juifs croient en quelque chose plutôt que rien, même ceux qui sont athées…
Car en vérité, l’affect, la liberté comme déterminisme, regardé, embrassé, pris à bras le corps, le désir d’être, les possibles dans le réel, c’est un peu à ce paradoxe renversé, qui n’a pas à voir qu’avec un juif qui toujours m’est cher, que cela me fait penser…
Joli renversement du paradoxe ! Et tout aussi suggestif. (Décidément le paradoxe c’est génial)