Longtemps, j’ai commencé mes journées en compagnie d’une matinale radiophonique. D’abord celle d’Europe 1 qu’écoutait mon père en se rasant, puis en buvant son café, transportant le transistor d’une pièce à l’autre de l’appartement. Ensuite celle de France Inter qu’une fois adulte j’ai préférée, pour échapper aux trop longues séquences publicitaires.
Façon de débuter la journée en s’immergeant dans les nouvelles du monde. De finir de se réveiller en stimulant son esprit encore embrumé. De sortir du cocon avant même de sortir. De prendre le rythme du jour en se laissant porter par des jingles toniques et réguliers. De s’envelopper chaudement dans le ruban des voix professionnelles et néanmoins familières. D’avoir un rendez-vous quotidien.
Un rite en quelque sorte. Une habitude. Une évidence.
Et puis une fêlure. Le départ d’un animateur particulièrement intéressant, peut-être ? Ou quelques publicités de trop ? Un dossier, consacré à un sujet que je connaissais trop bien, dont je pouvais constater la relative inconsistance ? Les hommes politiques, toujours les mêmes, toujours si prévisibles ? Ou encore, l’absence de toute nouvelle positive et jamais aucun focus sur les artisans de paix ?
Un peu de tout ça, sans doute, et plus encore, que chacun exhumera de sa propre expérience.
Le déclencheur cependant fut surtout le constat qu’il m’était difficile de partager mon écoute. La radio occupait et monopolisait tout l’espace sonore et toute mon attention, devenant exclusive. Un matin donc, la radio resta éteinte. Décision imposée au reste du foyer, qui semble s’en remettre.
Depuis, je me fais réceptive aux bruits du matin et m’émerveille de leur richesse, de leurs promesses. Et toi, lecteur, quels sont ceux qui ouvrent ta journée ? Pour ma part, j’ai connu le roulement sonore du tonneau de bière sur l’asphalte, livré au bistrot du coin. Le passage du train de banlieue qui emporte vers la ville les travailleurs pendulaires. Maintenant, c’est le chant des oiseaux : le titu-titu énergique de la mésange charbonnière, le roucoulement monotone et agaçant de la tourterelle turque, le pépiement aigu du rouge-gorge, le trille du pinson ou le sifflement mélodieux du merle. Attentive, j’apprends à les reconnaître.
Depuis, j’ai redécouvert le visage de mes proches, leurs sourires du matin, le babil des enfants, le silence des ados. Le partage de nos attentes projetées sur la journée qui commence.
Maintenant que la radio est éteinte, saurai-je la rallumer, avec discernement, avec curiosité, avec gourmandise, pour l’émission de mon choix, celle qui me surprendra ou m’instruira ou me fera rêver ?
Résister aux assassins de l’aube,
aux éteignoirs de l’espérance,
aux charognards du fait divers.
Échapper à ce petit monde
qui tourne en boucle, d’heure en heure,
en croyant nous parler du monde.
Ne plus entendre ces questions
qui n’attendent pas de réponses,
ni ces réponses convenues.
Laisser tous ces gens importants
à leur auto-satisfaction,
rompre l’addiction du 7-9.
Faire que chaque jour
un jour nouveau commence;
absorber sa lumière,
accepter son offrande.
Se rendre disponible
à la vie telle qu’elle est,
lui offrir un espace
qu’elle saura combler.
(Crédit photo : Gratisopgraphy, Pexels)
Voilà un article qui évoque plein de choses. Aujourd’hui pour ma part le matin je fais ma revue de presse sur internet, et elle m’inspire de souscrire totalement à ton poème final. Mais je la fais quand même, ne prenant que ce qui me fait du bien, et tentant de laisser le reste.
Quant aux bruits du matin, oui les oiseaux des arbres de la cour. Un peu plus tard, les jeux des petites filles dans la maison d’à côté. En ce moment elles jouent au salon de thé et se détaillent des recettes de gâteau. J’adore.
Et puis c’est le quasi-silence sur le boulevard, un peu plus loin, un vide auditif comparable au vide spatial dans la ville que le confinement rend surréaliste.
Bon ben on attend d’autres articles …
Merci à Ariane, à Laure-Anne, pour le partage et les encouragements à poursuivre.
Au plaisir de vous lire vous aussi.
Oui je pourrais souscrire à presque tout, sauf que je ne me suis pas du tout désintoxiquée de ma radio du matin, sauf quand vraiment trop c’est trop…suis accro à la radio, le suis devenue étudiante à Paris, hors de ma tribu pour la première fois ; le suis restée pour entrer dans le matin, car le matin ne m’aime guère même si je ne demande qu’à l’aimer. J’ai depuis laissé France Inter, trop de voix politiquement correctes et dans le sens des vents. Du vent souvent.
France Culture me convient, la plupart du temps… cela a tendance à rallonger mon temps de salle de bain, d’augmenter ma lenteur, car en fait j’écoute. J’aime apprendre en écoutant. Histoire, philo, science politique, partages d’art….(l’économie continue à me donner des boutons, car elle est souvent conquérante).
Mais il y a aussi des moments où je réalise que moi aussi j’ai deux ou trois choses à dire, fussent-elles bien peu de chose, et que celles-là, personne ne les dira à ma place, messages personnels ou écriture. Alors je coupe.
Ecouter beaucoup la radio, ça a à voir avec la solitude et le besoin de voix humaines qui sont là pour vous ; et on fait parfois durer le plaisir avant les joies fécondes du silence.
Mais avant la radio, le matin, mon lit à l’est me réserve des aurores sur les toits, des lune pâlies, des reflets sur la craie des collines, les chants des oiseaux du coin, (oui, en ville, et même avant le confinement) avant le passage des moteurs, que j’aimerais savoir nommer comme toi…
Oui, sur la radio je ne tarirais pas… mais j’attends juste ta prochaine chronique!
C’est sûr que les invités se ressemblent, que les mêmes reviennent trop souvent , et que les nouvelles manquent de perspectives stimulantes. Mais il y a quand même de belles découvertes de temps en temps et puis, pour moi, c’est une façon de partager aussi les misères humaines en tous lieux de la planète. Un rappel au milieu d’une vie hyperprotégée. Mais avant la radio, il y a l’ouverture des volets, avec ce cycle des saisons qui fait que l’hiver c’est encore bien noir avec une petite lueur vers l’Est et l’été déjà si chaud que le volet restera croisé, puis l’éveil du corps par les exercices matinaux, l’accueil du souffle universel dans le pranayama, la lecture biblique. Un bon bagage en somme pour écouter les nouvelles avec un peu de recul, juste le temps qu’il faut avant saturation. Si vraiment il y a quelqu’un de passionnant, j’en profite pour faire de menues tâches ménagères en prolongeant l’écoute avant de commencer le travail. La voix plus que la lecture pour ce qu’elle suggère de lien, de proximité, et ce qu’elle laisse entendre dans ses vibrations, ses intonations…
Lu ce matin dans « Carnets du lent chemin » de Joël Vernet (p. 213) :
« Le matin, ne plus entrer dans le jour en écoutant la radio, ne plus les entendre toutes ces vociférations. Loin de moi propagateurs de soi-disant informations ! »
et
« Le chant des oiseaux, à l’aube, dans la nuit encore noire, n’est-il pas le premier brouillon du jour ? »