« Il n’est pas égoïste, pour une rose rouge, de vouloir être une rose rouge, mais elle se montrerait affreusement égoïste en exigeant que toutes les fleurs du jardin soient des roses, et des roses rouges. » Oscar Wilde (L’âme humaine).
Portrait de l’artiste en rose rouge. Étonnant, non ? Vu le bonhomme, on aurait plutôt attendu un narcisse. (Mais ne débinons pas un coreligionnaire) (C’est le personnage de Woody Allen dans Scoop qui dit : je suis né dans le judaïsme, mais je me suis converti au narcissisme).
Quoi qu’il en soit, qu’évoque cette rose rouge ?
Pas la passion à laquelle on l’associe le plus souvent. Non que la nonchalante désinvolture affichée par Wilde soit incompatible avec la passion (au contraire c’est plutôt un improbable très possible).
Pas la passion, mais une émotion tout aussi intense : la beauté.
La beauté est cette chose qui ne peut que nous inspirer une gratitude infinie, car elle offre la joie d’admirer. Qui peut contempler une rose, caresser ses pétales, respirer son parfum, sans s’extasier, et se sentir allégé de tout, de soi ? (Fût-il adepte fervent du narcissisme). Ainsi cet instant, aussi bref qu’il soit, ouvre sur quelque chose d’absolu.
Oui je sais. La notion d’absolu est un fléau ravageur aux mains des religions, des pouvoirs. Mais c’est qu’elle y est dévoyée en totalitarisme de l’ego. Que ce soit l’ego d’un führer quelconque ou l’ego collectif d’un ensemble humain stupidement imbu de soi, de sa terre, ses traditions, ses morts … L’ego des vrais égoïstes, quoi.
« L’égoïsme n’est pas de vivre comme on le souhaite, c’est d’exiger que les autres vivent comme on le souhaite. » (L’âme humaine)
Mais soit, remplaçons absolu (absolutum = dé-lié) par incomparable. La beauté est incomparable. Pour la simple raison qu’on la rencontre dans une relation profondément personnelle, unique. Comme la vérité, l’amour et autres bêtises.
« Par Saint-Ex, dira le lecteur, cette histoire de rose et de rencontre unique, ça me rappelle quelque chose » Tiens c’est vrai, mais j’ai pas fait exprès. (Mon côté fleur bleue, sans doute).
Je voulais simplement dire que cette rose est un excellent antidote au narcissisme des petites différences (ou même des plus grandes).
Mais cessons les balivernes, et posons les vraies questions.
Oscar le dandy portait-il une rose à la boutonnière ?
Préférait-il le classique oeillet ?
Ou encore l’orchidée, par exemple un catleya qui n’était pas encore proustien ?
Je gagerais qu’il prenait son breakfast devant un somptueux bouquet de roses rouges en nombre impair (odd) dans une sublime jarre laiteuse de bone-China en caviardant le Times.