POÈTES D’ENCRES
Poètes d’encres n’oubliez pas la voix
Menus propos Joyeux devis
Vos grains de voix
Les voix se croisent comme les fils
Chaîne et trame tissant le drame
Et l’espérance d’en sortir
Poètes de paroles ne perdez pas vos encres
Blessures de pages
Jusqu’à l’effacement
Celui qui gratte sa vieille peau
Remet à zéro son palimpseste
Mais comme par magie
Un peu de texte qu’il est en train de faire disparaître
Reste en lui
Encres et paroles en même temps
Cherchant la Voie
Les unes s’allument en noir brillant
Les autres nous quittent
Comme elles nous viennent
Joyeux devis Menus propos
Nos grains de voix
08/02/2021
J’AI ÉCRIT BIEN DES POÈMES ÉTERNELS
J’ai écrit bien des poèmes éternels
Qui occupent astheure mes pages vides
Je les feuillette mélancoliquement
J’imagine comment la page blanche
Naguère les fit chanter
Une ruse que m’apprit une chamane de Goajira
Que je vis dialoguant avec un arbre tóluichi
Comme s’il s’agissait d’une personne :
-Ça parle dans ma tête, me disait-elle.
Toi qui sais écrire tu le fais sur ton papier,
Mais c’est comme un acte manqué, non ?
-Mais non, tu sais, le papier comme un esprit
de ton Monde Autre,
parfois me répond…
C’est ce que naïvement je disais à Setuuma Püshaina
Avant que ne s’effacent les pages
De mes poèmes éternels
Évocations: une chamane de Goajira : Venezuela (1970)
l’arbre « tóluichi » : voir « pithecellobium »
09/02/2021
MACHINA MEMORIALIS
L’art est un labyrinthe infini d’enchaînements.
Lev Tolstoï
Machina memorialis : contre le sentiment d’abandon
devant sa planche d’écriture,
chacun.e à sa manière construit cette machine
qui fabrique des images.
La plupart en font tout un cinéma,
prenant le mot au premier degré,
et quelques autres, l’immense minorité*,
continue à les créer…sur du papier.
Cette nuit, en vrac, ce sont
les escaliers à double révolution de Chambord,
la tapisserie de Bayeux avec la broderie figurant la comète de 1066,
une photo de Borges, aveugle, feuilletant avec le plus grand des sérieux
une encyclopédie,
et ce dessin étrange que l’auteur de ce texte fit,
avec une plume trempée dans son encrier Waterman,
le dix février 1981.
*c’est ainsi que Machado désignait les « poètes »
11/02/2021
LIEUX
Rien n’aura eu lieu que le lieu Stéphane Mallarmé
Je suis né partout où j’ai composé des poèmes. Dans le village de La Bastide de Besplas en Ariège, à la faculté des Lettres de Toulouse, à l’école normale d’Auch, et dans ces lieux des Hautes Pyrénées qui avaient pour nom, Arreau, Cazaux-Débat un village perché sur la Neste du Louron, le moulin de Jézeau, Ancizan et sa cheminée parée de briques rouges autour de laquelle naissaient des paroles en fleurs. Je suis né dans une tour de Caracas, et, par contraste, dans le hamac d’une case collective d’indios Panaré, dans un hôtel de la Havane et à Jibacoa, une petite crique cubaine où je connus l’amour de ma vie , à La Bugade d’Avignon pendant les ateliers d’écriture que nous inventions avec le Groupe Français d’Education Nouvelle, à New York, en 1976 dans les clubs de jazz du Village, puis en 2018, chez ma fille dans le quartier d’Astoria, à Barcelone sur les Ramblas et dans le restaurant des Caracoles, en Andalousie, à Cuevas de Almanzora, à Palos, à Moguer, au Prado de Madrid devant Les Ménines mille fois contemplées, dans les musées gratuits de Washington, au Moma devant un tableau représentant Joë Bousquet peint par Jean Dubuffet dont le titre Traduit du Silence me poursuit encore aujourd’hui, devant le Parthénon, un matin où j’ai couru pour rester royalement seul 5 minutes, entouré des chats squattant le temple, à Berlin pendant 2 concerts à la Philharmonie, à Paris rue de Suez et dans tous les bistrots du Marais ou du Quartier latin. Et j’en oublie, j’en oublie, j’en oublie. Et maintenant, je ne bouge plus. Tous mes poèmes proviennent d’un même lieu qu’il me faut sans cesse transfigurer, imaginer ailleurs, si je ne veux les laisser un à un, mourir et m’enterrer.
Je suis particulièrement sensible à ce beau bloc de prose qui advient après que l’encre des paroles ait été versée. j’aime ce ruban des lieux , ce festival de vocables. Ces noms propres, qui portent bien leurs noms sentent bon l’Occitanie et l’on s’y sent bien mais à peine est on installé dans ce sud ouest autobiographique que nous voilà déplacé dans d’autres noms de pays qui nous conduisent dans les Caraïbes puis nous voilà de retour dans cette Europe aux anciens parapets et terminus au quartier latin.Quel tournis! J’aime que cette sarabande ait lieu à travers cette voix poétique et que tout cela se termine par un voyage immobile puisqu’il nous a heureusement mené vers ce précieux morceau de prose poétique.
Mille mercis André. Nos voix se croisent et s’entreglosent. Encore heureux que demeurent quelques lecteurs « particulièrement sensibles à la beauté des blocs de prose qui advient après que l’encre ait été versé. » Encre de sang et de sens multipliés par la recherche des personnes qui nous ont donné amour et amitié, confondues parfois avec les personnages de romans et de ciné. Ceux et celles qui résistent et vivent sur le papier longtemps longtemps après que leurs auteur.e.s se soient définitivement absenté.e.s. Mais en attendant laissez lecteurs « courir encore vos coups d’essais » et surtout, sans repentirs, avec vos voix singulières et depuis vos lieux où vous vous tenez, vous aussi… écrivez.
J’ai répondu à votre retour sur le jazz de la Boutique et du coup, me fixe sur ce « bloc de prose » qu’A.B voit justement solidifié. Intense et compact. Vitrifié même, tranche de roches métamorphiques qui ne bougeront plus, éveillant douce nostalgie plus encore que mélancolie?
Prose en une liste( oui! ) enivrante de lieux, bourlingue un peu frénétique ? et poèmes qui m’ont accrochée, éclairée sur une
géographie que je connais si peu…. Jusqu’à Palos, Moguer, mythique souvenir d’un carnet noir paternel à la fine écriture violette consignant poèmes d’un autre âge. Dont cette boursouflure hérédienne que je connais encore par coeur contre toute attente.
Pour Sophie,
« les poèmes sont toujours d’un autre âge »
Je suis interdit de poèmes…sur le papier
Mais dans ma tête ça n’arrête pas de bourlinguer
Textes Antitextes Expériences de pensées
Cut up Lieux communs percutés
Où la bouche délirante fait dinguer
le concept et la cogitation de nos chers métaphysiciens
Je suis interdit…en arrêt volontaire de machine
à écrire
les fadaises de l’écriture automatique
Mais dans ma tête ça moissonne
Faucille d’or faisant tomber des épis
des « et puis »
des essais sur les Essais exempts de toute farine
que font ces diables de critiques
dans les bénitiers des éditeurs de Saint Germain des Près
Il n’y a plus d’après ni de traction avant (l’antique déesse noire)
Mais un petit vélo présent
Qui fait le tour de cette nuit absente de tout bouquet
Mais non de cette fantaisie générée dans son lit
En bel état d’hypnose et d’insomnie
C’est très beau, c’est de l’ailleurs, ce sont les voix d’autre et du soi-même, et elles sont à la fois amnios doux et déplacement vif, le poli simple de la langue ne devenant jamais cache-sexe glacé des émotions.
Merci Jean-Jacques, ce voyage en poésie et ce bloc, ces ailleurs, nous transfigurent.
un message venu d’ailleurs, pour voue remercier de votre lecture amniotique
UN HOMME QUI DORT
« Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes. »
Marcel Proust
Quand votre prose n’a pas droit au chapitre, premier chapitre ou dernier chapitre, c’est du pareil au même. Et cependant il vous arrive, en toute innocence, d’écrire : « résumé des chapitres précédents. »
C’est toujours autant de temps perdu, mais au moins vous aurez eu un bref instant l’illusion d’avoir participé, en l’écrivant, la tête sur l’oreiller, à sa recherche.
Et d’ailleurs maintenant que vous avez projeté ce peu de bleu sur une feuille bleue, vous pouvez vous rendormir et rêver de votre mère, qui vient s’assurer autour de minuit que même couché comme chaque soir de bonne heure, vous lui avez laissé bien en vu, sous la flamme de la bougie, ce petit mot écrit avec ferveur : « je m’endors. »
de vous à voue
sans le vouloir
les lettres ont
fourché
sur ce chemin d’écriture
qui sans cesse bifurque
et sans cesse
nous déplace
dans l’ailleurs
du soi-même
comme un.e autre
« Je suis né partout où j’ai composé des poèmes ». Le texte ci-dessus est une des 222 « entrées » qui composent « Un dictionnaire à part moi », le livre paru en juin 2022 et dont vous pouvez trouver références et commentaires ici.
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
jean jacques dorio 15/08/2022