« On sait lire les livres remplis de mots, mais non ceux dont les pages sont blanches. »
Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II,8)
Pour ceux qui sont remplis de mots, pas tout à fait sûr non plus qu’on sache les lire pour de bon. Lire ce qu’ils disent vraiment. Mais ce n’est pas le propos de Monsieur Hong, je vais donc m’abstenir d’ergoter sur ce point.
Les livres dont les pages sont blanches, pour ma part j’y vois toutes les vies restées ignorées ou mal connues, faute d’avoir laissé une trace sur un papier.
Papier ou autre conservateur de mots : un disque par exemple. Et comme non seulement le son mais aussi l’image a son langage, ajoutons toutes ces vies dont ne reste pas non plus une photo, pas un bout de pellicule, un portrait.
Certaines pages sont blanches d’avoir été effacées dans les violences de l’Histoire. Mais d’autres n’ont simplement jamais été remplies. Souvent je pense à tant de vies muettes. Vies que nul n’aura pu lire, et qui auraient tant mérité d’être connues, vies de bonté, de force, de courage, de dignité, vécues dans l’évidence, la simplicité. Vies véritablement humaines.
Parfois elles n’auront pas trouvé les mots pour se dire, tout en le désirant. Parfois elles auront volontairement négligé de se dire. Un magnifique détachement, une belle confiance en soi aussi peut être. Et surtout confiance dans les autres, les laissant libres d’entendre de vous ce qu’ils veulent, pour leurs besoins et non les vôtres.
Inversement c’est peut être le défaut de détachement et de confiance qui motive à laisser de soi une trace sur un papier ou autre support. (Euh oui c’est à moi que ce discours s’adresse).
Mais bon allez, histoire de ne pas finir sur des bêtises et autres vanités :
« Ni les hommes ni leurs vies ne se mesurent à l’aune.»
(Montaigne Essais I,20 Que philosopher c’est apprendre à mourir)
Consolant, non ?
Image congerdesign (pixabay)
Pour clore cette série que déjà je regrette, un texte juste de la première à la dernière ligne, sur un sujet sensible.
Pas sûr que l’on comprenne en effet les mots que l’on lit, même quand ils nous sont adressés.
Mais quand il n’ y à rien à lire sur ces vies simples, anonymes, survient un Michon ( il en faudrait d’autres) pour réparer l’oubli. Redonner de l’éclat à ces Vies minuscules, en laisser une trace, même si certaines, tu le soulignes avec tendresse, auront généreusement, « volontairement négligé de se dire ».
Ton texte frappe fort et il sait aussi consoler. C’est sûrement cela écrire.
Merci, chère lectrice ! Et rendez-vous bientôt pour de nouvelles aventures.
Presque rien à ajouter au commentaire de Sophie.
Seulement peut-être que les pages blanches, outre ces vies sans souci d’inscription dans le temps, sont aussi invitation à faire stèles de ces modestes trop occupés à autrui, ou invitation à ouvrir de nouvelles fenêtres sur le monde, avec les raisons, et corps et âme…